Auteure : Anne Descamps, avocate
Le Conseil d’Etat, par deux arrêts en date du 21 avril 2022, confirme la légalité de deux arrêtés ministériels relatifs à l’organisation des tirs de destruction de loups, contestée par les associations de protection animale.
I . Canis Lupus, une espèce protégée par le Droit sauf dérogation
Canis lupus ou loup gris est une espèce protégée non seulement par la Convention de Berne du 19 septembre 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe ratifiée par la France en 1990 mais également par la directive européenne du 21 mai 1992 relative à la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ( dite directive « Habitat » ), qui a inscrit le loup dans son annexe IV listant les espèces nécessitant une protection stricte.
L’article 16 de la directive du 21 mai 1992 sus visée énonce toutefois que :
« A condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées…, les Etats membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12,13, 14 et 15 points a) et b)… pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété »
Ces deux textes ont été transposés en Droit français dans le Code de l’environnement notamment en ses articles L 411-1 et suivants.
Ainsi, l’article L 411-1 du Code de l’environnement dispose que :
« I. – Lorsqu’un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits :
1° La destruction ou l’enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ;…………………………………………………………
3° La destruction, l’altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d’espèces ; …………………………………. »
Quant aux dispositions de l’article L 411-2 du même code, elles reprennent la dérogation prévue à l’article 16 de la directive « Habitat » :
« I .- Un décret en Conseil d’Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées :
……………………………………………………………………………………………………………………………………………….
… 4°La délivrance de dérogation aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante ……………………………………..et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle :
Les articles R411-6 et suivants du Code de l’environnement et les deux arrêtés du 23 octobre 2020 fixent les conditions dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les loups. Ces derniers textes prévoient que « le nombre maximal de spécimens de loups dont la destruction est autorisée en application de l’ensemble des dérogations qui pourront être accordées par les préfets est fixée chaque année par arrêté interministériel. »
C’est sur cette base que les ministres de l’Ecologie et de l’Agriculture fixent le quota annuel de loups pouvant être abattus.
2. Une dérogation qui devient la règle
Il appert cependant que depuis 2015, ce qui devait n’être qu’une dérogation exceptionnelle devient habituel avec des quotas de plus en plus importants.
Ce constat a conduit plusieurs associations de défense des animaux telles que One Voice et FERUS à saisir le Conseil d’Etat afin qu’il se prononce sur l’application des dispositions du Code de l’environnement.
Le Conseil d’Etat s’est donc déjà prononcé sur des requêtes déposées afin d’obtenir l’annulation de deux arrêtés du 30 juin 2015 organisant les conditions dans lesquelles des tirs de loups pouvaient être autorisés pour protéger les troupeaux.
Par décision du 18 décembre 2017, il avait validé l’essentiel du cadre juridique fixant un plafond du nombre de loup pouvant être abattus. Cette position du Conseil d’Etat a été réaffirmée par une décision du 18 décembre 2019 sauf en ce qu’il avait censuré la possibilité de continuer les tirs de défense des troupeaux lorsque le plafond était atteint.
Une nouvelle fois et face à l’augmentation constante du nombre d’abattages autorisés, les associations telles que One VOICE, l’ASPAS et FERUS ont saisi le Conseil d’Etat afin d’obtenir l’annulation pour excès de pouvoir de deux arrêtés du 23 octobre 2020 :
– le premier arrêté de la ministre de la Transition écologique et du ministre de l’Agriculture et de l’alimentation fixant le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction pourra être organisée chaque année,
– le second arrêté de la ministre de la Transition écologique et du ministre de l’Agriculture et de l’alimentation fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets .
Lesdites associations rappellent notamment que, pour être légales, les mesures prises par les arrêtés doivent être nécessaires et proportionnées à l’objectif de protection des troupeaux, qu’il doit exister des dommages importants à l’élevage, qu’il ne doit pas exister d’autres solutions satisfaisantes et que les dispositions ne doivent pas porter atteinte au maintien dans un état de conservation favorable des populations de loups.
II. Maintien par le Conseil d’Etat de sa jurisprudence et position de certains Etats membres de l’Union Européenne
Chaque année, les ministres chargés de l’agriculture et du développement durable fixent donc le nombre maximum de destruction de loups pouvant être autorisées. Le plafond de destruction autorisé a été fixé à 19 % de l’effectif moyen de loups estimé annuellement et il est en outre prévu que lorsque le seuil de 17% est atteint avant la fin de l’année civile, les tirs de prélèvement ne peuvent plus être mis en œuvre que dans les « fronts de colonisation » du loup définis à l’article 31 de l’arrêté attaqué.
Par deux décisions en date du 21 avril 2022, le Conseil d’état a écarté l’essentiel des moyens soulevés par les associations et rejeté les requêtes en annulation présentées.
En effet, dans le 1er arrêt [1], le Conseil d’Etat, se fondant sur une note technique conjointe de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage et du Muséum national d’histoire naturelle du 5 février 2019, a estimé que la population de loups en France a suivi au cours des dernières années une croissance exponentielle et que l’effectif moyen de loups est estimé à 576 loups en 2019.
Il relève également qu’en dépit de l’augmentation du nombre de spécimens détruits, la population lupine était estimée à environ 580 spécimens fin de l’hiver 2019-2020 caractérisant un taux de croissance annuelle des effectifs de 9% à comparer à 22% l’année précédente. Il souligne également le fait que les bilans dressés mettent en évidence une poursuite de l’expansion spatiale du loup. Le Conseil d’Etat en conclut donc qu’en dépit d’une diminution de son rythme de croissance, la population de loups a continué à augmenter de façon sensible.
Le Conseil d’Etat estime en conséquence que l’arrêté du 23 octobre 2020 fixant le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction pourra être organisée chaque année ne méconnait ni les objectifs de la directive du 21 mai 1992 ni les dispositions de l’article L411-2 du Code de l’environnement imposant « que de telles dérogations ne nuisent pas au maintien dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées…… », ni même le principe de précaution énoncé par l’article 191 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et par l’article L 110-1 du Code de l’environnement .
Dans son 2eme arrêt[2], le Conseil d’Etat juge que compte tenu de l’encadrement strict des tirs de loups prévu par l’arrêté fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets et de leur contrôle par cette autorité, ledit arrêté répond également aux exigences de légalité.
En conséquence les deux arrêtés n’ont pas à être annulés.
Ces décisions sont conformes à la jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière et ce même si ce dernier relève une diminution de la croissance annuelle du loup sur le territoire.
2. Application de la dérogation prévue à l’article 16 de la directive « Habitat » hors de France
Des tribunaux locaux de Finlande et Norvège avaient annulé des chasses au loup prévues durant l’hiver 2022. En effet, en Norvège, le gouvernement avait accordé la chasse de 51 loups alors que la population totale est estimée à seulement 80 individus. Parmi ces 51 loups, 25 pouvaient être abattus dans une zone pourtant attribuée à l’espèce. C’est la chasse de ces 25 loups qui a été annulée.
Le loup est pourtant classé en danger critique d’extinction sur la liste rouge des espèces norvégiennes. En Finlande, 18 loups auraient pu être abattus dans diverses zones du pays dès le 1er février 2022. Les tribunaux ont argué que l’espèce est encore très menacée dans ce pays.
Cependant, le 11 février 2022, la Cour d’appel de Norvège a réformé la décision entreprise: quatre meutes de la zone loup pourront donc être chassées soit près d’une trentaine de loup. Dès le 12 février 2022, la plupart de ces loups avait déjà été abattus .
Pourtant, des associations estiment qu’il existe une divergence entre la directive européenne et les textes nationaux censés être conformes. Ainsi, le Conseil scientifique du patrimoine naturel et de la biodiversité, qui émet des avis scientifiques destinés à éclairer les choix du ministre de l’Ecologie, avait formulé dès 2016 des critiques à l’égard du dispositif français. « Le loup, devenu indésirable dans les faits, n’est plus vraiment une espèce protégée par le droit français car les arrêtés préfectoraux autorisant sa destruction dans le cadre de la chasse en battue ne sont plus contraires à la loi, ce qui ne veut pas dire qu’ils resteront conformes aux engagements européens pris par la France« , relève-t-il.
Il est donc permis de s’interroger sur la question de savoir si les critères de dérogations sont véritablement réunis.
Il est cependant incontestable que la croissance de la population a ravivé des tensions avec la communauté agricole de l’Union européenne conduisant à ce jour des parlementaires européens à solliciter une révision du statut de protection des loups dans l’Union européenne.
[1] Conseil d’Etat n°448141 du 21 avril 2022
[2] Conseil d’Etat n°448136 du 21 avril 2022