Auteur : Manon Rochette-Castel
Par un arrêt du 11 septembre 2020, le Conseil d’État suspend l’autorisation de la chasse de la tourterelle des bois pour la saison 2020-2021.
En juillet 2019, la Commission européenne, par une procédure d’infraction, demande à la France d’appliquer la législation de l’Union Européenne (directive 2009/147/CE en matière de protection des oiseaux) afin de protéger la tourterelle[1]. En effet, entre 1996 et 2016, sa population a baissé de 44% en France, notamment à cause de l’agriculture et de la chasse. En ce sens, le Conseil d’État rend une décision le 11 septembre 2020 et suspend un arrêté autorisant la chasse de 17 460 tourterelles des bois[2].
En l’espèce, deux associations françaises de protection de l’environnement et des animaux demandent au juge des référés du Conseil d’État, la suspension de l’arrêté du Ministre de la transition écologique et solidaire du 27 août 2020 relatif à la chasse de la tourterelle des bois en France métropolitaine pour la saison 2020-2021.
Elles soutiennent dans un premier temps que la condition d’urgence est satisfaite puisque l’arrêté autorise « de manière grave et immédiate » la chasse « à l’encontre d’une espèce menacée et en période de reproduction sans aucune mesure de préservation de l’habitat de l’espèce ni plan national de gestion ». Également, le manque de fiabilité des contrôles peut entrainer une sous-estimation des prélèvements réellement effectués (limités à 17 460 dans l’arrêté) et l’ouverture de la chasse est prévue pour le 29 août 2020. Elles soutiennent dans un second temps qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté. En effet, celui-ci va à l’encontre des objectifs résultant des articles 2 et 7 de la directive n° 2009/147/CE du 30 novembre 2009, transposés aux articles L. 424-1 et suivants du Code de l’environnement, en ce qu’il ne tend pas à remédier au déclin de l’espèce des tourterelles des bois.
Le juge devait donc répondre de la justification de l’urgence ainsi que de la légalité de la décision[3]. Il considère en premier lieu que la condition de l’urgence est remplie du fait de l’objet de l’arrêté, « qui détermine les conditions dans lesquelles la tourterelle des bois peut être chassée depuis le 29 août 2020 jusqu’au 20 février 2021, au nombre maximal de prélèvements qu’il retient pour la chasse de cette espèce et qui n’est pas encore atteint, ainsi qu’à l’état de conservation de celle-ci. » Sur le fond de l’arrêté, il considère qu’il existe en effet un doute sérieux quant à sa légalité et il fonde sa décision sur le principe de précaution et sur les articles 2 et 7 de la directive n° 2009/147/CE du 30 novembre 2009, transposés notamment aux articles L. 425-16 et L. 425-17 du Code de l’environnement. Le Conseil d’État rappelle que l’espèce a diminué de 80% entre 1980 et 2015 et que le quota fixé cette année (de 17 460 tourterelles des bois chassées), bien qu’inférieur à celui de l’an passé (18 000), ne permet pas la conservation de l’espèce puisqu’une baisse tendancielle de la population européenne sur les décennies passées a déjà été déterminée.
Le Conseil d’État s’aligne sur la position de la Commission européenne
L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) dresse une liste des espèces menacées, qu’elle tient régulièrement à jour, et indique le degré de risque. Au niveau mondial, mais aussi européen et également en France, la tourterelle des bois est classée sous le statut « vulnérable ». La population de cette espèce est donc en déclin.
En juillet 2019, la Commission européenne envoie une lettre de mise en demeure à la France afin de prendre des mesures nécessaires pour mettre les pratiques de chasse et de capture d’oiseaux en conformité avec le droit de l’Union (directive 2009/147, « Oiseaux »). Elle demande explicitement à la France de renforcer la protection de la tourterelle : « les États membres doivent veiller à ce que les tourterelles disposent d’habitats suffisants, à ce que ces habitats soient protégés par des garanties juridiques adéquates et gérés selon les besoins écologiques des espèces, et à ce que la chasse n’ait lieu que lorsqu’elle est durable. »[4]
La France ne prenant pas de mesures nécessaires, la Commission européenne demande, par un avis motivé le 02 juillet 2020, de protéger, au nom de la même directive, toutes les espèces d’oiseaux naturellement présentes à l’état sauvage dans l’Union européenne. Elle rappelle qu’en France, « parmi les 64 espèces pouvant être chassées, seules 20 présentent un bon état de conservation. »[5]
Le 27 août 2020, soit un peu plus d’un mois après cet avis motivé, la Ministre de la Transition écologique Barbara Pompili autorise la chasse de 17 460 tourterelles des bois en France pour la saison 2020-2021. Le Conseil d’État, saisi, rappelle donc les objectifs de la directive « Oiseaux » afin de déclarer l’arrêté illégal.
Le Conseil d’État se positionne une nouvelle fois pour mieux protéger les oiseaux en France
Cette décision s’inscrit également dans une certaine volonté du Conseil d’État de mieux protéger les oiseaux en France.
En effet, par une décision du 29 novembre 2019, le Conseil d’État saisit la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour qu’elle précise si la directive « Oiseaux » permet d’autoriser la capture à la glu de certaines espèces d’oiseaux sauvages[6]. La CJUE s’était prononcée en 2018 sur le piégeage des espèces protégées qui doit être motivé concernant l’inexistence d’une autre solution satisfaisante[7]. La chasse à la glu, autorisée dans 5 départements du Sud-Est de la France, a finalement été suspendue le 27 août 2020 par le président de la République Emmanuel Macron.
Le Conseil d’État est poussé à statuer sur ces questions en raison des contestations menées par des associations de protection de l’environnement et des animaux de certains arrêtés pris par le Gouvernement.
Le Conseil d’État se positionne face aux différentes pressions de l’Union Européenne qui souhaite que les États membres respectent la directive « Oiseaux » afin de protéger les espèces menacées.
[1] Décisions en matière d’infractions, 25 juillet 2019, Bruxelles : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/ detail/fr/inf_19_4251
[2] Arrêté du Ministre de la transition écologique et solidaire du 27 août 2020 relatif à la chasse de la tourterelle des bois en France métropolitaine pour la saison 2020-2021.
[3] Article L. 521-1 du Code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».
[4] Décisions en matière d’infractions, 25 juillet 2019, Bruxelles : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/ detail/fr/inf_19_4251
[5] Décisions en matière d’infractions, 02 juillet 2020, Bruxelles : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/ detail/fr/INF_20_1212
[6] Conseil d’État, 29 novembre 2019, Chasse à la glu : https://www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/conseil-d-etat-29-novembre-2019-chasse-a-la-glu
[7] Arrêt de la Cour du 21 juin 2018 dans l’affaire C-557/15 Commission/Malte.