Auteur : Pierre Pelissier, avocat
Depuis plus d’un an, la question de la responsabilité de l’État face aux divers (et nombreux) manquements en matière de bien-être animal s’est renouvelée concernant, spécifiquement, les animaux d’élevage au sein des abattoirs et établissements d’abattage.
C’est par le biais de l’association L214 qui capte des images et vidéos au sein d’abattoirs français pour révéler les conditions d’abattage des animaux d’élevage destinés à devenir des biens de consommation (conditions de détention et de mise à mort) que ladite question d’une responsabilité de l’État, en raison de son abstention et/ou de sa carence fautive a été portée devant les tribunaux.
Cette abstention ou carence fautive (l’on pourrait évoquer une forme de négligence ou d’inaction coupable, ou a minima, de défaillance) serait constituée par un défaut de surveillance et de contrôles vétérinaires qui, in fine, aboutissent à des conditions de détention et de mise à mort incompatibles avec un hypothétique bien-être animal.
L’objectif recherché était d’obtenir une condamnation de l’État pour faute, sur le fondement de sa responsabilité administrative extracontractuelle.
Ce courant contentieux, loin d’être anodin, constitue un renouvellement concret de la question du sort de l’animal en abattoir, d’autant que la symbolique est forte : l’inaction, qui ne coûtait rien à l’État tout en coûtant la vie aux animaux en situation de souffrance, a désormais un coût.
À titre liminaire, outre le principe même de la responsabilité de l’État, il y a lieu de souligner que :
Ainsi, par différents jugements, l’État, auquel il incombe diverses obligations dans le contrôle et la surveillance des abattoirs en matière de bien-être animal (1), a pu être condamné pour carence fautive (2).
1) Les obligations de l’État en matière de bien-être animal au sein des abattoirs
Pour obtenir sa condamnation pour faute, l’association requérante a, dans le cadre de ses différents recours, soutenu l’existence de manquements de l’État à ses diverses obligations en matière de bien-être animal au sein des abattoirs (bien qu’exploités par des personnes privées). Ces manquements caractérisent une faute.
En effet, l’intervention de l’État concernant les abattoirs est multiple avec, pour principales finalités, la préservation de la santé publique mais, également, le respect du bien-être animal. Les animaux d’élevage étant considérés comme êtres sensibles (et donc susceptibles de ressentir de la douleur et, a fortiori, de subir de mauvais traitements), les dispositions de l’article L.521-1 du Code pénal ainsi que les articles L.214-1 et L.214-3 du Code rural et de la pêche maritime s’appliquent à eux.
En conséquence, toute personne qui détient des animaux d’abattage doit « assurer la protection » contre les « mauvais traitements » ou les « utilisations abusives », mais également « éviter des souffrances lors des manipulations inhérentes aux diverses techniques d’élevage, de parcage, de transport et d’abattage des animaux », et ce sous la surveillance de l’État.
C’est dans cet objectif, conformément au cadre européen imposé par le règlement 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort[1] ainsi que le règlement 2017/625concernant les contrôles officiels[2], que différentes dispositions règlementaires nationales visent à prévenir tout acte de maltraitance envers les animaux d’élevage, de leur transport jusqu’à la mise à mort dans les abattoirs, soit tout au long de leur détention.
Les différentes obligations qui en ressortent sont transposées au sein du cadre national via différentes dispositions règlementaires, soit les articles R.214-80, R.214-81, R.214-65 et R.214-71 du Code rural et de la pêche maritime et pèsent, par l’action de ses agents (inspecteurs de santé publique vétérinaires, techniciens ou ingénieurs des services du ministère chargé de l’agriculture, voire des agents occupant des fonctions sanitaires, etc.) sur les services de l’État qui a, dans ce cadre, une obligation de résultat.
Plus précisément et concrètement, le respect du bien-être animal dans les abattoirs doit, en principe, être assuré à deux niveaux, tel qu’il résulte de :
Le cas échéant, lorsqu’il est constaté des défaillances ou manquements, l’État est censé y donner suites via des sanctions administratives (amendes administratives, suspension d’agrément, fermeture temporaire ou définitive, etc.), voire des sanctions pénales.
En outre, il est à noter que l’État joue aussi un rôle dans l’autorisation et l’installation des différents abattoirs, lesquels doivent être agréés par l’État pour pouvoir mettre sur le marché, aux fins de consommation humaine, les produits d’origine animale issus de leur chaîne d’abattage selon les dispositions de l’article L.233-2 du Code rural et de la pêche maritime, étant précisé que l’agrément doit tenir compte des modes opératoires d’abattage proposés par l’établissement.
Logiquement, et au regard de ces obligations, couplées à une large palette de leviers relevant de sa marge d’appréciation, l’État peut décemment agir pour contraindre les abattoirs à respecter la règlementation applicable.
2) Les manquements de l’État en matière de bien-être animal dans les abattoirs, de nature à engager sa responsabilité pour carence fautive
Au regard des différentes obligations, règlementaires et législatives découlant notamment du droit de l’Union Européenne, s’imposant à l’État auquel il incombe diverses missions en matière de contrôle et de surveillance vétérinaires dans les abattoirs, les juges administratifs saisis des recours de l’association L214 ont pu, au cas par cas, constater la carence des services de l’État pour retenir sa responsabilité.
Ainsi, compte tenu des précédents développements, il en résulte que, si les obligations sont claires, la caractérisation de l’inaction de l’État l’est tout autant.
Par exemple, cette inaction a été relevée dans les cas suivants :
L’État a été considéré comme l’auteur d’une carence en raison de l’absence de retrait des certificats de compétence, de l’inefficacité des mesures proposées et des sanctions pour mettre fins aux manquements en imposant des objectifs relativement faibles, d’autant qu’aucun signalement pour maltraitance n’avait été effectué auprès du Procureur de la République.
C’est donc le caractère systématique, l’inaction partielle des services de l’État et, surtout, l’inefficacité des mesures proposées (avec des contrôles trop peu contraignants, démontrés par la lenteur des corrections et la persistance de non-conformités de mois en mois) qui ont caractérisé la faute de l’Etat, celui-ci ayant fait preuve d’insuffisance dans ses missions de surveillance et de contrôle :
Ainsi, et compte tenu des obligations règlementaires s’imposant à l’État au titre de ses missions de surveillance et de contrôle vétérinaire des abattoirs, c’est de manière générale l’absence de sanction coercitive et/ou l’absence de suivi précis des correctifs demandés suite aux constats de manquements au respect du bien-être animal qui ont constitué les faits générateurs de responsabilité de l’État et ouvert un droit à l’indemnisation des préjudices moraux de l’association L214 pour atteinte aux intérêts collectifs qu’elle défend en vertu de son objet statutaire (entre 1.000 et 3.000 euros par affaire).
Il en résulte qu’au regard des risques de condamnation dans le cadre de contentieux pouvant se systématiser, les missions de surveillance et de contrôle du bien-être des animaux en abattoirs doivent, en cas de manquements des établissements contrôlés, déboucher sur des sanctions à la hausse et de nature à corriger le comportement des exploitants et ce dès le constat des manquements (sans attendre qu’il en soit donné une quelconque publicité au public).
Désormais, ce sera donc en pleine responsabilité que l’État fera ou non le choix de fermer les yeux sur le sort des animaux en abattoirs par carence fautive et complice.
[1] Règlement (CE) n°1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, J.O.UE., 18 novembre, 2009, L 303/1.
[2] Règlement (UE) 2017/625 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 concernant les contrôles officiels et les autres activités officielles servant à assurer le respect de la législation alimentaire et de la législation relative aux aliments pour animaux ainsi que des règles relatives à la santé et au bien-être des animaux, à la santé des végétaux et aux produits phytopharmaceutiques, modifiant les règlements du Parlement européen et du Conseil (CE) n° 999/2001, (CE) n° 396/2005, (CE) n° 1069/2009, (CE) n° 1107/2009, (UE) n° 1151/2012, (UE) n° 652/2014, (UE) 2016/429 et (UE) 2016/2031, les règlements du Conseil (CE) n° 1/2005 et (CE) n° 1099/2009 ainsi que les directives du Conseil 98/58/CE, 1999/74/CE, 2007/43/CE, 2008/119/CE et 2008/120/CE, et abrogeant les règlements du Parlement européen et du Conseil (CE) n° 854/2004 et (CE) n° 882/2004, les directives du Conseil 89/608/CEE, 89/662/CEE, J.O.U.E., 7 avril 2017, L 95/1.
[3] L’arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d’immobilisation, d’étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs (NOR : AGRG9702126A).
[4] L’instruction du 23 janvier 2022 du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (DGAL/SDSSA/2022-62) pour l’organisation de contrôles officiels relatifs à la protection animale en abattoir au moment de la mise à mort et des opérations annexes.