Auteure : Manon Rochette-Castel, juriste
Après la Cour suprême de l’État de New-York qui a accepté de débattre en mai dernier de la demande de libération d’une éléphante en Habeas corpus (procédure visant à obtenir la libération de «personnes» détenues illégalement)[1], c’est au tour d’un tribunal d’instance de l’Ohio[2] de considérer des hippopotames comme des « personnes intéressées » («interested persons») au sens de l’article 1782 du titre 28 du code des Etats Unis.
Des hippopotames ont été importés illégalement en Colombie à la fin des années 80 par Pablo Escobar, un trafiquant de cocaïne, pour compléter son zoo privé. À sa mort en 1993, la ménagerie a été fermée, les hippopotames se sont échappés et se sont reproduits de manière prolifique dans la nature, plus particulièrement dans le bassin du Magdalena, le plus important fleuve colombien. Etendant leur aire de répartition sur plus de 100 kilomètres, ces hippopotames sont considérés par le gouvernement colombien comme une espèce invasive représentant un danger pour l’écosystème de cette région et pour la sécurité des habitants de sorte que celui-ci a envisagé de procéder à leur abattage.
C’est dans ce cadre qu’un avocat, Luis Domingo Gomez Maldonado, a déposé devant les tribunaux colombiens un recours en grâce en juillet 2020 pour éviter qu’ils ne soient abattus par les autorités locales. Alors que le procès est en cours, l’agence environnementale régionale impliquée dans la lutte contre la population d’hippopotames, a annoncé qu’elle avait commencé à injecter à certains de ces animaux un contraceptif, le GonaCon. Les effets de ce produit sur la santé globale des hippopotames étant inconnus, l’avocat a alors élargi sa demande afin d’obtenir une décision ordonnant l’administration d’un autre contraceptif plus sûr car déjà testé avec succès sur des hippopotames : le PZP.
Afin d’assurer le succès de cette demande, l’association américaine Animal Legal Defense Fund (ALDF) a souhaité faire intervenir deux experts américains en stérilisation, tous deux recommandant le PZP, pour témoigner dans le procès colombien.
Pour ce faire, les deux experts devaient obtenir du tribunal d’instance du district de leur exercice, l’autorisation de donner leur avis dans le litige étranger. L’association américaine a alors déposé une demande d’autorisation au tribunal d’instance du district Sud de l’Ohio pour recueillir, au nom des plaignants (en l’espèce les hippopotames), l’avis desdits experts.
En effet, l’article 1782 du titre 28 du Code des États-Unis[3] permet à « toute personne intéressée[4] » d’introduire, auprès du tribunal d’instance du district dans lequel une personne réside, une demande de production par cette personne d’un témoignage, déclaration, document ou tout autre élément en vue de l’utiliser dans une procédure étrangère.[5]
Par une décision du 15 octobre 2021, la juge Karen Litkovitz, de la tribunal d’instance du district de l’Ohio, a fait droit à la demande de l’association ALDF : elle aurait donc reconnu les hippopotames comme « personnes intéressées » puisque plaignants lors du procès colombien, et a permis aux experts américains de faire leur déposition.
La portée de cette décision doit être étudiée avec beaucoup de prudence et il serait très téméraire d’en déduire que le tribunal américain a reconnu la personnalité juridique aux hippopotames. En effet, selon Steven Wise, juriste américain spécialiste de droit animalier et président de l’organisation « Non human Rights Project », le contexte de l’affaire était très particulier : le défendeur n’avait pas connaissance de l’action et n’a donc pas pu s’opposer à la demande, et la cour n’a pas motivé sa décision.[6]
Pour autant et comme le fait remarquer Victoria Schroff, avocate canadienne spécialisée en droit animalier, dans son article du 3 novembre 2021 relatif à ce dossier, quelle que soit l’interprétation de cette décision, cette affaire aura été l’occasion de donner une voix aux animaux et de porter à la lumière la question de leur statut devant les tribunaux.[7]
[1] Voir la note : http://kyifteh.cluster028.hosting.ovh.net/index.php/2021/05/22/happy-la-cour-dappel-de-new-york-accepte-de-debattre-de-la-demande-de-liberation-en-habeas-corpus/
[2] U.S. District Court for the Southern District of Ohio
[3] Codification du droit américain fédéral à caractère général et permanent.
[4] La Cour suprême des États-Unis a déclaré qu’une personne qui est partie à l’affaire étrangère est présumée d’office comme une « personne intéressée » en vertu de cette loi.
[5] “The district court of the district in which a person resides or is found may order him to give his testimony or statement or to produce a document or other thing for use in a proceeding in a foreign or international tribunal, including criminal investigations conducted before formal accusation. The order may be made pursuant to a letter rogatory issued, or request made, by a foreign or international tribunal or upon the application of any interested person and may direct that the testimony or statement be given, or the document or other thing be produced, before a person appointed by the court. (…)”
[7]https://www.thelawyersdaily.ca/articles/31049/animals-may-not-be-human-but-they-can-be-persons-of-interest-in-u-s-