Auteur : Thomas Lopez Castellanos, juriste
Un arrêt de la Cour de cassation dirigé contre un arrêt de la Cour d’appel de Gand, chambre correctionnelle, du 20 octobre 2023 a été rendu le 11 juin 2024 et rappelle l’impossibilité pour une association de défense des animaux de se constituer partie civile au regard de l’article 17 du Code judiciaire.
La Cour d’appel de Gand a déclaré recevable la constitution de partie civile d’une association de défense des animaux en se fondant sur l’article 17, alinéa 2 du Code judiciaire, estimant dès lors, que les quatre conditions requises par ledit article étaient réunies.
Après avoir considéré qu’une association pouvait, en tant que personne dotée de la capacité juridique, se constituer partie civile devant le tribunal pénal lorsqu’elle poursuit un intérêt collectif au nom du groupe conformément à son objet statutaire, la Cour a en effet estimé que :
– l’association en question poursuivait un intérêt collectif qui se différenciait de l’intérêt général ;
– l’association avait notamment pour objectifs la défense des animaux captifs et la protection des animaux contre la cruauté humaine, les mauvais traitement et les abus ;
– les faits qualifiés de délits sur la base desquels étaient poursuivis les prévenus menaçaient ou portaient atteinte aux intérêts qu’entendait sauvegarder l’association ;
– l’association disposait d’un fonctionnement durable et effectif.
Par un arrêt du 11 juin 2024, la Cour de cassation relève que le deuxième alinéa de l’article 17 du Code judiciaire exige que l’action en justice formée par une personne morale, dans la mesure où il est satisfait aux quatre conditions dudit article, vise à la protection des droits de l’homme ou des libertés fondamentales tels que reconnus par la Constitution et dans les instruments internationaux auxquels la Belgique est liée.
La Cour de cassation se réfère ensuite à certaines normes de droit européen[1] ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne[2], de la Cour constitutionnelle[3] et de la Cour européenne des droits de l’homme[4]pour affirmer que la protection du bien-être des animaux est un objectif d’intérêt général reconnu par le droit européen, à laquelle une importance croissante est accordée dans les sociétés démocratiques contemporaines et qui devrait être prise en compte lors de l’évaluation des restrictions aux droits et libertés de l’homme.
La Cour conclue que la protection du bien-être des animaux est reconnue dans des instruments internationaux qui lient la Belgique, sans que ces instruments imposent toutefois à la Belgique l’obligation d’assurer l’accès à la justice aux associations dont l’objet social est le bien-être des animaux ou certains de ses aspects, en vue de contester des comportements contraire aux dispositions relatives au bien-être animal.
Ensuite, la Cour de cassation se réfère au nouvel aliéna deux de l’article 7bis de la Constitution, adopté le 15 mai 2024, qui dispose que « dans l’exercice de leurs compétences respectives, l’Etat fédéral, les Communautés et les Régions veillent à la protection et au bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles ».
Elle relève à cet égard que cette disposition exprime un objectif de politique générale et ne vise pas à créer des droits subjectifs exécutoires en tant que tels, mais bien à servir de ligne directrice au gouvernement et d’éventuelle ligne directrice dans l’interprétation judiciaire de réglementations.
La Cour de cassation arrive à la conclusion que, dans l’état actuel de la législation, l’article 17 du Code judiciaire ne saurait procurer un droit d’accès à la justice aux associations de défense des animaux en vue de contester des comportements contraires aux dispositions en matière de bien-être animal, du seul fait que la défense du bien-être animal fait partie de leur objet social. Pour qu’une association puisse se constituer partie civile, elle doit démontrer qu’elle a subi un préjudice personnel.
La Cour casse donc l’arrêt de la Cour d’appel de Gand et renvoie la cause devant la Cour d’appel d’Anvers.
La décision de la Cour de cassation lie la juridiction de renvoi et, par extension, les parties à la cause.
En effet, l’article 161 de la loi du 6 juillet 2017[5] (dite « loi Pot-Pourri V ») impose désormais à la juridiction à laquelle la cause est renvoyée par la Cour de cassation de se conformer au point de droit tranché.
En l’absence de modification de l’article 17 du Code judiciaire et tenant compte de cet arrêt de la Cour de cassation, le seul moyen permettant aux associations de se constituer partie civile est de pouvoir démontrer l’existence d’un dommage subi par elle (par exemple, l’existence de frais liés à la prise en charge de l’animal dans le cadre d’une saisie administrative à la suite du non-respect du bien-être animal).[6]
Enfin, relevons que la Cour de cassation livre dans cet arrêt sa toute première interprétation du récent deuxième alinéa de l’article 7bis de la Constitution dont il convient de retenir qu’il n’a pas pour objectif d’octroyer des droits subjectifs aux animaux mais sert uniquement d’objectif de politique générale.
[1] Notamment l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ainsi qu’au Règlement n°1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, et plus spécifiquement au quatrième considérant du préambule de ce Règlement.
[2] Affaire C336/19, 17 décembre 2020.
[3] C. const., n°117/2021, 118/2021, 30 septembre 2021; n°114/23, 20 juillet 2023.
[4] requêtes n°16760/22 et autres, 13 février 2024.
[5] L. du 6 juillet 2017 portant simplification, harmonisation, informatisation et modernisation de dispositions de droit civil et de procédure civile ainsi que du notariat, et portant diverses mesures en matière de justice, M.B., 24 juillet 2017, p. 75168.
[6] Voyez à cet égard la brève publiée le 17 juillet 2020 faisant état d’une proposition de loi en ce sens qui n’a, à ce stade, pas pu être votée : https://www.iridda-droit-animalier.org/belgique-proposition-dextension-du-droit-daction/