Auteure : Julie Nicolas, doctorante en droit
Le 20 novembre dernier, le juge des référés du Conseil d’État a rendu une ordonnance faisant penser à certains que la Haute juridiction de l’ordre administratif avait consacré une nouvelle liberté fondamentale propre au droit animalier. Mais est-ce véritablement le cas ?
Dans cette affaire, le préfet de la Dordogne avait pris deux arrêtés au cours du printemps 2023 visant à ordonner l’euthanasie du cheval « Plaisir des fleurs » détenu par Madame B., au motif que ce cheval était infecté par l’anémie infectieuse des équidés[1].
Souhaitant obtenir la suspension de ces arrêtés préfectoraux, la détentrice du cheval a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux d’une procédure de référé mais ce dernier a rejeté ses demandes. La requérante a donc formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance de rejet. De son côté, le préfet de la Dordogne a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bergerac afin d’obtenir l’autorisation de pénétrer sur le lieu de détention de « Plaisir des fleurs » dans le but de le capturer et de procéder à son euthanasie. Cependant, le tribunal judiciaire de Bergerac a rejeté à deux reprises la demande du préfet. L’administration vétérinaire n’étant pas autorisée par le juge des libertés et de la détention à pénétrer sur la propriété de la détentrice du cheval et ne pouvant dès lors procéder à son euthanasie, le préfet a pris un nouvel arrêté le 10 octobre 2023 afin d’ordonner à Madame B. de faire procéder elle-même à l’abattage de son cheval par le vétérinaire de son choix avant le 22 octobre 2023. Madame B. a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux d’un référé-liberté, dans l’espoir d’obtenir l’annulation ou la suspension de ce nouvel arrêté préfectoral. Par une ordonnance en date du 21 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a donné raison à Madame B. Il a jugé que le nouvel arrêté préfectoral portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un procès équitable de Madame B. et a décidé de suspendre l’exécution de l’arrêté du 10 octobre 2023 jusqu’à ce que le juge des référés du Conseil d’État ait statué sur le premier pourvoi en cassation de la requérante. Le juge des référés du Conseil d’État s’est ainsi prononcé sur toute cette affaire dans une ordonnance de référé rendue le 20 novembre 2023.
En l’espèce, le juge des référés du Conseil d’État a tout d’abord infirmé la décision rendue par le tribunal administratif de Bordeaux. En effet, il a jugé que le nouvel arrêté préfectoral pris par le préfet de la Dordogne ne portait pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un procès équitable de la détentrice du cheval « Plaisir des fleurs » puisque, si les deux arrêtés remplacés par ce nouvel arrêté préfectoral ne pouvaient plus faire l’objet d’un pourvoi en cassation, ce nouvel arrêté pouvait en revanche parfaitement faire l’objet d’un référé-liberté ainsi que d’un recours pour excès de pouvoir accompagné d’un référé-suspension.
Ensuite, le juge des référés du Conseil d’État s’est prononcé sur la procédure de référé-liberté visant le nouvel arrêté préfectoral. Pour ce faire, il s’est attardé sur les différentes conditions du référé-liberté, à savoir : la condition d’urgence, la mise en jeu d’une liberté fondamentale et l’existence d’une atteinte manifestement grave et illégale portée à ladite liberté fondamentale[2]. C’est à cette occasion que le juge des référés de la Haute juridiction administrative a déclaré que le nouvel arrêté préfectoral portait atteinte au droit de propriété de la détentrice du cheval infecté, mais également au droit au respect de sa vie privée, en raison du lien affectif particulier que Madame B. a établi avec son cheval. À la lecture du raisonnement du juge des référés du Conseil d’État, il semble donc que la juridiction administrative se soit contentée de voir dans le lien affectif reliant une personne détentrice d’un animal à cet animal une composante du droit au respect de la vie privée, lequel se voit reconnaître de longue date le statut de liberté fondamentale au sens de l’article L.512-1 du CJA[3].
En réalité, il paraît peu probable que le juge des référés du Conseil d’État reconnaisse au lien affectif établi entre le détenteur d’un animal et cet animal le caractère de liberté fondamentale au sens de l’article L.512-1 du CJA puisque la Haute juridiction administrative a pour habitude de faire émerger des libertés fondamentales en se fondant sur les libertés fondamentales issues du Préambule de la Constitution française de 1958[4], ainsi que sur celles figurant au sein de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe datant de 1950. Or, ces différentes sources ne font aucunement mention du lien affectif particulier entre une personne détentrice d’un animal et cet animal.
En conclusion, si certains optimistes ont cru voir dans cette récente décision du juge administratif la reconnaissance d’une nouvelle liberté fondamentale issue du droit animalier, le juge des référés du Conseil d’État semble tout au plus avoir consacré une nouvelle composante de la liberté fondamentale qu’est le droit au respect de la vie privée.
[1] En application de l’article 6 de l’arrêté interministériel du 23 septembre 1992 fixant les mesures de police sanitaire relatives à l’anémie infectieuse des équidés, le préfet est en effet tenu de prendre un arrêté portant déclaration d’infection de l’établissement dans lequel se trouve le cheval touché par l’anémie infectieuse des équidés lorsque l’existence de cette anémie infectieuse a été confirmée. À la suite de cette déclaration d’infection, le cheval infecté doit être abattu dans un délai fixé par le directeur des services vétérinaires compétent, lequel ne peut excéder 15 jours à compter de la notification officielle de l’infection, en vertu de l’article 9 de l’arrêté interministériel.
[2] Plus précisément, l’article L.512-1 du Code de justice administrative (CJA) dispose que : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ».
[3] On retrouve notamment en ce sens l’ordonnance de référé n°310125 rendue par le juge des référés du Conseil d’État le 25 octobre 2007, dans laquelle il rappelle que « Considérant que Mme Y demande au juge des référés du Conseil d’Etat, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, afin de sauvegarder le respect de sa vie privée, lequel constitue une liberté fondamentale au sens de cet article ».
[4] Au sein du Préambule de la Constitution française de 1958, sont mentionnés la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution française de 1946 et la Charte de l’environnement de 2004.