Autrice : Angélique Debrulle (le contenu du présent article n’engage que son auteur)
En Belgique, comme ailleurs, le droit animalier est encadré par le biais de différentes compétences et implique plusieurs niveaux de pouvoirs. Ainsi, la matière du bien-être animal relève des autorités régionales tandis que le statut juridique des animaux est encadré par le législateur fédéral au sein du code civil.
Depuis plusieurs années, la Belgique est confrontée à de nombreux débats épineux sur la question animale qu’il s’agisse d’abattage, de méthodes d’élevage, d’expérimentation ou encore de la place qu’il convient de reconnaitre aux animaux.
Le 4 février 2020, le législateur fédéral a adopté une réforme du droit des biens[1] procédant à la modification du statut juridique de l’animal dont l’entrée en vigueur[2] a été fixée le premier jour du dix-huitième mois qui suit celui de sa publication au Moniteur belge, à savoir le 1er septembre 2021.
Deux points de cette réforme retiennent particulièrement notre attention :
La création d’une nouvelle catégorie : les animaux
L’article 3.38 intitulé « Choses » procède à l’extraction des animaux de la catégorie des biens dans la mesure où il est rédigé de la manière suivante : « Les choses, naturelles ou artificielles, corporelles ou incorporelles, se distinguent des animaux. Les choses et les animaux se distinguent des personnes. »
Les travaux préparatoires précisent à cet égard que les « choses doivent donc être distinguées, dans une summa divisio introductive, des personnes certes, mais aussi d’une troisième catégorie, celle des animaux. Les progrès scientifiques et sociétaux laissent percevoir en effet les particularités de ces derniers qui incitent à ne les classer ni dans les choses, ni dans les sujets de droit. »[3]
La reconnaissance de la sensibilité des animaux
L’article 3.39 est intitulé « Animaux » et s’exprime dans les termes suivants : « Les animaux sont doués de sensibilité et ont des besoins biologiques. Les dispositions relatives aux choses corporelles s’appliquent aux animaux, dans le respect des dispositions légales et réglementaire qui les protègent et de l’ordre public. »
Cette modification du code civil, réclamée depuis plusieurs années par de nombreux parlementaires[4], suit la droite ligne des modifications apportées aux législations régionales[5] applicables en matière de bien-être animal :
A Bruxelles, depuis le 27 décembre 2018, l’article 1er de la loi du 14 août 1986[6] précise qu’« un animal est un être vivant doué de sensibilité, de propres intérêts et d’une propre dignité, qui bénéficie d’une protection particulière. »
En Wallonie, l’article D.1er du Code wallon du bien-être animal, entré en vigueur le 1er janvier 2019, indique quant à lui que : « L’animal est un être sensible qui possède des besoins qui lui sont spécifiques selon sa nature. »
A l’image de l’article 515-14 du Code civil français, il est précisé que les animaux se voient appliquer le régime des choses dans le respect des dispositions qui les protègent. Les travaux préparatoires précisent à cet égard que les dispositions du code civil viennent s’appliquer de manière résiduelle.[7]
L’on remarquera que la qualité d’être sensible ayant des besoins biologiques a été intégrée dans le texte, à titre de définition, afin de permettre de distinguer les choses et les animaux.[8] Plusieurs références à des dispositions internationales ont été utilisées afin de justifier cet ajout dont le « champ d’application » serait, selon les auteurs du texte, plus restreint[9] par rapport aux textes étrangers. Nous n’apercevons cependant pas dans quelle mesure il s’agirait d’une « version allégée » par rapport au régime mis en place à l’article 515-14 du code civil français puisque ces législations visent systématiquement les lois protégeant les animaux. Le fait que l’autorité fédérale ne soit pas compétente pour légiférer en matière de bien-être animal ne nous parait pas avoir un impact quelconque sur la question.
Si les travaux préparatoires du texte soulignent le caractère symbolique[10] de cette réforme, celle-ci ouvre néanmoins la voie à la création d’un statut juridique particulier et semble inviter le législateur à réfléchir au développement d’un encadrement spécifique du statut juridique de l’animal.
A ce stade, l’entrée en vigueur de cette réforme n’impliquera pas de modification fondamentale puisque l’animal demeure soumis au droit de propriété. Il n’en demeure pas moins que l’article 3.39 pourrait potentiellement être utilisé comme fondement juridique par les juges, leur permettant de prendre des décisions ayant égard à l’intérêt de l’animal au détriment de l’application pure et simple du droit de propriété. Cela pourrait être le cas, par exemple, dans le cadre des procédures de divorce concernant la question de la prise en charge de l’animal du couple.
Si l’on peut s’attendre à une certaine forme de souplesse appliquée par les magistrats, il convient de garder à l’esprit que le droit de propriété jouit d’une protection constitutionnelle. Aucune protection particulière de l’animal n’est actuellement visée par la Constitution belge. Actuellement, le bien-être animal est uniquement considéré par la Cour constitutionnelle comme un « but légitime d’intérêt général ».[11]
A notre estime, seule l’inscription, dans la Constitution belge, d’une disposition visant la protection de l’animal pour lui-même apporterait une réelle plus-value. Plusieurs pays voisins ont, depuis plusieurs années, intégré des considérations sur l’animal dans leur Constitution.[12]
L’effet majeur d’une telle disposition serait de fournir une justification aux atteintes aux droits fondamentaux (tel que le droit de propriété) nécessaire en vue de permettre l’adoption ou le renforcement de règles législatives relatives à la protection de l’animal. Plus spécifiquement, cela permettrait de conférer aux associations de protection animale un droit d’action dans les dossiers de maltraitance afin de contrer l’inertie du Ministère public.[13]
Sous l’ancienne législature, des discussions ont eu lieu en vue de modifier l’article 7bis de la Constitution dans le but d’y intégrer l’alinéa suivant : « Dans l’exercice de leurs compétences respectives, l’État fédéral, les Communautés et les Régions veillent au bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles ».
Plusieurs constitutionnalistes, experts scientifiques, représentants du monde agricole et de la protection animale[14] se sont exprimés sur l’opportunité de procéder à une révision de la Constitution.
A la suite de plusieurs auditions[15], et compte tenu du fait que l’article 7bis est un objectif constitutionnel présentant une utilité relative dans la mesure où cette disposition ne peut être directement invoquée devant la Cour constitutionnelle, un amendement[16] a été déposé en vue de compléter l’article 23, alinéa 3, 4° de la Constitution relatif au droit à un environnement sain :
« Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l’article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment :
(…)
4° le droit à la protection d’un environnement sain, qui implique la protection et le bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles ».
Pour l’heure, les discussions n’ont pas abouti à une modification constitutionnelle.
S’il est plus intéressant d’intégrer des considérations relatives au bien-être animal sous le titre II de la Constitution (les droit fondamentaux), on peut néanmoins s’interroger sur l’opportunité de faire de la protection et du bien-être animal une composante du droit à un environnement sain. A première vue, cela nous semble quelque peu réducteur dans la mesure où l’animal n’y est pas considéré dans son individualité ce qui serait susceptible d’affaiblir le niveau de protection initialement poursuivi par le législateur.
[1] L. du 4 février 2020 portant le livre 3 « Les biens » du Code civil, M.B., 17 mars 2020, p. 15753.
[2] Art. 39 de la loi.
[3] Ch. Repr., S.E. 2019, Doc 55 0173/001, p. 97.
[4] Voyez notamment la proposition de loi du 24 mai 2012 en vue de reconnaître à l’animal le caractère d’être vivant et sensible dans le Code civil (Sén., 5-1631/1), la proposition de résolution du 1er avril 2015 visant à reconnaître à l’animal le caractère d’être vivant et sensible au sein du code civil (Sén., 6-191/1), la proposition de loi du 6 juillet 2016 modifiant le Code civil, visant à reconnaître à l’animal le statut d’être vivant doué de sensibilité dans le même Code (Ch. Repr. Doc 54 1954/001), la proposition de loi du 7 juin 2018 visant à reconnaître à l’animal le statut d’être vivant doué de sensibilité (Ch. Repr., Doc 54 3149/00), la proposition de loi du 24 septembre 2019 modifiant le Code civil, visant à reconnaître à l’animal le statut d’être vivant doué de sensibilité dans le même Code (Ch. Repr., Doc 55 0445/001),
[5] La Flandre n’a pas encore adopté de disposition similaire.
[6] L. du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux modifiée par l’Ordonnance du 6 décembre 2018 portant modification de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux visant à la reconnaissance du statut spécifique de l’animal, M.B., 17 décembre 2018, p. 99411.
[7] « Si des dispositions spéciales n’y dérogent pas, il est proposé, dans un souci de transparence et de praticabilité, d’appliquer aux animaux les règles qui régissent des choses corporelles : c’est qu’il convient de leur attribuer un régime juridique résiduel. » (Ch. Repr., S.E. 2019, Doc 55 0173/001, pp. 99 et 100)
[8] Le premier alinéa de l’article 3.39 indiquant que « Les animaux sont doués de sensibilité et ont des besoins biologiques » est issu d’un amendement qui précise que cette mention est nécessaire pour permettre de distinguer les animaux et les choses. Il s’agirait uniquement d’une définition. (voyez Ch. Repr., S.E. 2019, Doc 55 0173/004, Rapport de la première lecture, pp. 18 à 23)
[9] Ch. Repr., S.E. 2019, Doc 55 0173/003, pp. 20 à 22.
[10] Ch. Repr., S.E. 2019, Doc 55 0173/001, p. 96.
[11] Arrêt de la Cour constitutionnelle du 20 octobre 2016 n° 134/2016, pp. 18 et 23 : l’arrêt s’appuie sur la législation européenne et notamment l’article 13 TFUE.
[12] La Suisse (1992), l’Allemagne (2002), le Luxembourg (2007) et l’Autriche (2014) ont introduit des considérations sur l’animal dans leur Constitution.
[13] L’article 17 du Code judiciaire n’attribue ce droit d’action qu’aux associations dont l’objet social vise la protection des droits de l’homme ou des libertés fondamentales reconnus dans la Constitution.
[14] Au sujet de ces deux dernières catégories d’intervenants, l’on remarque que les débats ont été très polarisés : les représentant du monde agricole refusent la modification constitutionnelle par crainte de son impact sur les activités d’élevage et estiment que la modification du Code civil est suffisante. Voyez le rapport de la commission des affaires institutionnelles, Sén., 2017-2018, 6-339/3. Les interventions débutent aux pages 54 (GAIA), 101 (Boerenbond), 119 (Algemeen Boerensyndicaat), 127 (Animaux en péril) et 131 (Fédération wallonne de l’agriculture).
[15] Voyez notamment l’échange de vues après l’exposé des constitutionnalistes transcrit dans le rapport de la commission des affaires institutionnelles et plus spécifiquement la page 44 (Sén., 2017-2018, 6-339/3).
[16] Sén., 2017-2018, 6-339/2.