Auteure : Julie Nicolas, doctorante
Le 25 janvier dernier, le Conseil d’État a rejeté le recours pour excès de pouvoir formé par une association réunionnaise à l’encontre d’un arrêté interministériel fixant la liste des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire de La Réunion[1].
En effet, en application de l’article L.411-6 du Code de l’environnement[2], la ministre de la Transition écologique, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation et la secrétaire d’État chargée de la biodiversité auprès de la ministre de la Transition écologique ont pris un arrêté conjoint relatif à la prévention de l’introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire de La Réunion et à l’interdiction de toutes activités portant sur des spécimens vivants en date du 28 juin 2021[3].
Estimant que la procédure d’adoption d’un tel arrêté n’avait pas été respectée et que l’arrêté conjoint adopté méconnaissait le règlement européen relatif à la prévention et à la gestion de l’introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes[4], l’association Réunion Biodiversité a saisi le Conseil d’État afin d’obtenir l’annulation de l’arrêté en question.
S’agissant de la méconnaissance présumée du règlement européen applicable en la matière, le Conseil d’État a réalisé un contrôle restreint de l’arrêté interministériel attaqué. En effet, puisque les ministres compétents disposent d’un pouvoir discrétionnaire pour fixer la liste des espèces animales exotiques envahissantes sur l’ensemble du territoire national[5], le juge administratif limite dans cette hypothèse son contrôle à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation et sanctionne uniquement l’erreur déraisonnable. En l’espèce, la Haute juridiction a donc estimé que les ministres n’avaient pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en inscrivant des passereaux estrildidae[6] et des reptiles[7] sur la liste des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire de La Réunion puisqu’une telle inscription est « justifiée par les forts risques invasifs que ces espèces présentent pour le territoire réunionnais ». De plus, le Conseil d’État a considéré que les ministres à l’origine de l’arrêté litigieux n’avait pas commis d’erreur déraisonnable en choisissant de ne pas faire figurer les espèces de poissons de la famille des cichlidés d’Amérique Centrale sur la liste des espèces animales exotiques envahissantes puisqu’il n’existait pas de données scientifiques approfondies sur l’impact de ces espèces marines sur les milieux naturels réunionnais et que le risque que ces poissons d’aquarium soient relâchés dans la nature était réduit.
Cette jurisprudence illustre ainsi le fait que les décisions prises par l’Administration en matière de fixation des listes d’espèces animales exotiques envahissantes se trouvent encore dans le champ du contrôle restreint du juge administratif de l’excès de pouvoir. Face à une liste d’espèces animales exotiques envahissantes arrêtée par le ministre chargé de la Protection de la nature et le ministre chargé de l’Agriculture (ou bien par le ministre chargé des Pêches maritimes lorsqu’il est question d’espèces marines), le juge administratif pourra donc censurer cette décision uniquement si la définition de cette liste est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, sans avoir à rechercher de manière détaillée si les faits de l’espèce sont de nature à justifier cette mesure.
[1] Arrêt n°460440, CE, 25 janvier 2023.
[2] Cet article impose la fixation par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et du ministre chargé de l’agriculture, ou d’un ministre chargé des pêches maritimes lorsqu’il est question d’espèces marines, d’une liste d’espèces animales ou végétales dont l’introduction sur le territoire français, la détention, le transport, le colportage, l’utilisation, l’échange, la mise en vente, la vente ou l’achat est interdite afin d’éviter leur diffusion lorsque cela est justifié par les nécessités de la préservation du patrimoine biologique, des milieux naturels et des usages qui leur sont associés.
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043868035.
[4] Règlement (UE) n° 1143/2014 du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 relatif à la prévention et à la gestion de l’introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes.
[5] L’article L.411-6 du Code de l’environnement impose uniquement aux autorités administratives compétentes d’inscrire sur leur liste les animaux mentionnés dans la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union européenne. Or, les espèces animales dont l’inscription ou l’absence d’inscription sur la liste interministérielle litigieuse est contestée par l’association Réunion Biodiversité ne figurent pas sur la liste de l’Union européenne.
[6] À l’exception de quatre genres et d’une espèce de passereaux estrildidae.
[7] À l’exception de certains taxons dont l’impact en cas d’introduction dans le milieu naturel sur les écosystèmes réunionnais est limité.