Auteure : Manon Rochette-Castel, juriste
La chasse autorisée comme activité de loisir pendant le confinement : les chasseurs des Landes obtiennent gain de cause en référé.
Par une ordonnance du 24 novembre 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Pau, saisi par la fédération départementale des chasseurs des Landes, a suspendu l’arrêté du 6 novembre 2020 par lequel la préfète a interdit la chasse de loisir dans le département.
Cet arrêté contesté du 6 novembre a été pris alors que la France était en deuxième confinement pour endiguer l’épidémie de coronavirus[1]. Il interdisait la chasse de loisir mais autorisait la chasse liée à la régulation des sangliers, cerfs, daims, chevreuils et renards, répertoriés comme des espèces pouvant occasionner des dégâts. L’arrêté disait prendre en considération la propagation de l’épidémie de COVID-19 ainsi que les mesures de prévention instaurées par l’État ; autant qu’il prenait en considération la limitation des dégâts provoqués par certaines espèces ainsi que le maintien des équilibres agro-sylvo-cynégétiques (c’est-à-dire l’équilibre des milieux où agriculture, sylviculture et chasse coexistent).
La fédération départementale des chasseurs des Landes demande alors au juge des référés de suspendre cet arrêté, en tant qu’il interdit tout exercice de régulation des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts, non visées au titre des exceptions énoncées ci-dessus. Elle soutient notamment qu’il est porté une atteinte grave à la liberté d’aller et venir ainsi qu’au principe d’égalité de traitement ; et que la mesure est disproportionnée en ce qu’elle cantonne le droit de chasser à la régulation du grand gibier ainsi qu’au piégeage du renard.
Par un mémoire en défense, la préfète des Landes soutient que les conditions posées par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative ne sont pas remplies : les conditions d’urgence ne sont pas justifiées pour saisir le juge des référés[2].
Le juge des référés estime alors que la préfète des Landes a porté une atteinte grave à la liberté d’aller et venir, composante de la liberté personnelle des chasseurs. L’arrêté doit être suspendu, en urgence, en tant qu’il interdit la chasse de loisir.
Le juge base sa décision considérant :
– une atteinte grave à la liberté d’aller et venir,
– sans en justifier la nécessité par des circonstances sanitaires locales alors que le premier ministre a autorisé les déplacements d’une heure par jour liés à l’activité physique individuelle des personnes, dans un rayon d’un kilomètre autour du domicile (décret du 29 octobre 2020).
La fédération départementale des chasseurs des Landes conteste l’interdiction de la chasse de loisir, en tant que la préfète considère uniquement l’activité de chasse comme celle de régulation et donc de mission d’intérêt général. En effet, par ce premier arrêté, la préfète ne considère pas la chasse de loisir comme utile à l’État pendant le confinement. Ici, la fédération ne tente pas d’argumenter sur l’utilité publique des autres pratiques de chasse non énoncées comme exceptions par la préfète. Elle argumente plus sur le fait que la chasse est une pratique de loisir et que son interdiction serait contraire à la liberté d’aller et venir des chasseurs.
Le juge des référés suspend l’arrêté au motif que la préfète n’a pas assuré la conciliation de la pratique de la chasse avec le respect des libertés fondamentales et la sauvegarde de l’ordre public. En effet, la liberté d’aller et venir, une liberté fondamentale à valeur constitutionnelle et composante de la liberté individuelle, peut être limitée au nom de l’ordre public (la salubrité publique en étant une composante) ; mais seulement si les mesures sont nécessaires, adaptées et proportionnées. Le juge estime alors que l’atteinte n’est pas justifiée : la chasse est donc à nouveau autorisée, en activité individuelle, dans le cadre des sorties autorisées pendant le confinement, c’est-à-dire dans un rayon d’un kilomètre et une heure par jour.
Notons toutefois que la chasse à moins d’un kilomètre avec interdiction de tirer vers les habitations laisse peu de marge de manœuvre aux chasseurs. Les assouplissements en termes de distance ont donc été effectués en même temps que pour toutes les autres activités individuelles, selon les annonces générales du Gouvernement.
Notons également qu’au sein de ce département, la fédération des chasseurs des Landes, comme le juge des référés, revendique la chasse comme une activité de loisir. S’il est un loisir particulier en ce qu’il consiste non au simple maniement des armes ou à l’observation de la nature mais à ôter la vie à des êtres vivants[3], il n’en demeure pas moins considéré comme un loisir, une activité individuelle. Et, précisément, parce que les autres activités individuelles (comme la course à pied par exemple), n’ont pas été interdites pendant le confinement, le juge en conclut que la chasse ne peut pas l’être non plus, au risque de s’orienter vers une différence de traitement. Rien n’empêche néanmoins de s’interroger sur la légitimité de la qualification de la chasse comme « loisir » : provoquer la souffrance et donner la mort peuvent-ils être considérés comme un amusement et une activité de loisir et de divertissement comme une autre ?
[1] Annonce du Président de la République Emmanuel Macron le 28 octobre 2020.
[2] « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »
[3] Ce que, d’ailleurs, revendique officiellement des chasseurs : « Oui, en tant que chasseur, je donne la mort au terme d’une action de quête, qui est l’essentielle de mon plaisir. » D’après Pierre de Boisguilbert, porte-parole de la Fédération nationale des chasseurs Français en 2015.