Arrêts n°117/2021 et 118/2021 de la Cour constitutionnelle belge du 30 septembre 2021 [1]
Auteur : Thomas Lopez-Castellanos, juriste
Règlementation en vigueur et recours des associations
La règlementation belge en matière de bien-être animal est de la compétence des Régions depuis le 1er juillet 2014. Auparavant, l’Etat fédéral belge était titulaire de cette compétence et avait adopté la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux (ci-après « Loi de 1986 »).
La Loi de 1986 prévoit notamment une exception à l’obligation de principe d’étourdissement préalable des animaux pour les abattages prescrits par un rite religieux, conformément à la lecture combinée de ses articles 15 et 16[2].
Depuis la régionalisation du bien-être animal, la Loi de 1986 a été modifiée dans les trois régions.
Tant à Bruxelles qu’en Flandre, il a été décidé de conserver la Loi de 1986 comme assise légale.
La Région de Bruxelles-Capitale a maintenu les articles 15 et 16 tels qu’édictés par la Loi de 1986.
La Flandre a modifié l’article 15 de la Loi de 1986 par décret du 17 juillet 2017 portant modification de la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux (ci-après « Décret du 17 juillet 2017 »)[3].
La Région wallonne a, quant à elle, adopté le 4 octobre 2018 un décret instituant le Code wallon du bien-être animal (ci-après « Code WBEA »)[4] venant abroger et remplacer la Loi de 1986.
Dorénavant, que ce soit en Wallonie ou en Flandre, il est interdit de procéder à l’abattage d’animaux vertébrés sans étourdissement préalable, en ce compris dans le cadre des modes d’abattage d’animaux prescrits par des rites religieux. Pour ces derniers, une modalité particulière a été prévue : le procédé d’étourdissement appliqué doit être réversible et ne peut entraîner la mort de l’animal.
Des associations de confession juive et musulmane ont introduit un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle à l’encontre des dispositions prédécrites du Décret du 17 juillet 2017 et du Code WBEA. A l’appui de leur recours, ces associations ont invoqué une violation du Règlement (CE) n°1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort (ci-après « le Règlement n°1099/2009 ») [5], une violation de la liberté de religion, une violation du principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, une violation du droit au travail et au libre choix d’une activité professionnelle, de la liberté d’entreprendre et de la libre circulation des marchandises et des services ainsi qu’une violation du principe d’égalité et de non-discrimination.
Décision de la Cour constitutionnelle belge
La Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après « la CJUE ») a été saisie par la Cour constitutionnelle belge de trois questions préjudicielles[6]. Dans son arrêt du 17 décembre 2020, la CJUE a confirmé la validité du Décret du 17 juillet 2017 et du Code WBEA au regard du droit de l’Union européenne[7].
La Cour constitutionnelle belge (ci-après la « Cour constitutionnelle ») vient donc de rejeter les recours en annulation par ses arrêts n°117/2021[8] et 118/2021[9] datés du 30 septembre 2021 et ce, pour les motifs suivants.
Premièrement, la Cour constitutionnelle dans un premier temps, a rappelé les règles contenues aux article 4 et 26 du Règlement n°1099/2009[10] et dans un second temps, s’est référée à l’arrêt rendu par la CJUE le 17 décembre 2020 pour considérer que le deuxième paragraphe de l’article 26 du Règlement n°1099/2009, lu à la lumière de l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après le « TFUE ») et de l’article 10, paragraphe premier de la Charte, « ne s’oppose pas à la réglementation d’un Etat membre qui prévoit, dans le cadre de l’abattage rituel, un procédé d’étourdissement réversible et insusceptible d’entraîner la mort de l’animal ».
Deuxièmement, la Cour constitutionnelle a considéré que les normes querellées ne constituent pas une restriction injustifiée à la liberté de religion, telle que protégée par l’article 19 de la Constitution lu en combinaison avec l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Tout d’abord, la Cour constitutionnelle estime que l’objectif de promotion du bien-être animal constitue une valeur éthique à laquelle la société belge attache une importance croissante ainsi que d’autres sociétés démocratiques contemporaines et, dès lors, est un but légitime d’intérêt général permettant de justifier une ingérence dans les droits garantis par l’article 19 de la Constitution.
Toujours selon la Cour constitutionnelle, « le législateur décrétal a pu considérer que les restrictions que le décret attaqué apporte à la liberté de pensée, de conscience et de religion en imposant un étourdissement préalable réversible et insusceptible d’entraîner la mort de l’animal, sont nécessaires et qu’aucune mesure moins radicale n’est envisageable pour réaliser l’objectif poursuivi ».
Ensuite, la Cour constitutionnelle fait remarquer que « le décret du 17 juillet 2017 n’interdit pas l’abattage rituel en tant que tel, mais il touche néanmoins à l’acte rituel spécifique que constitue l’abattage, en exigeant que cet acte rituel ne soit accompli qu’après que l’animal a été étourdi de manière réversible ». Par conséquent, « la liberté de pensée, de conscience et de religion n’est donc restreinte que dans la mesure où cet acte rituel concerne l’objectif de protection du bien-être animal poursuivi par le décret attaqué ».
Enfin, la Cour constitutionnelle relève que les normes querellées n’ont aucune incidence sur la possibilité pour les croyants de se procurer de la viande provenant d’animaux abattus conformément aux préceptes religieux, étant donné qu’aucune disposition n’interdit l’importation d’une telle viande en Belgique.
La Cour constitutionnelle en conclut que « les limitations que le décret attaqué apporte à la liberté de pensée, de conscience et de religion en autorisant un étourdissement préalable réversible et insusceptible d’entraîner la mort de l’animal, lorsque la mise à mort fait l’objet de méthodes particulières prescrites par un rite religieux, répondent à un besoin social impérieux et sont proportionnées à l’objectif légitime poursuivi consistant à promouvoir le bien-être animal ».
Troisièmement, la Cour constitutionnelle estime que les normes querellées ne violent pas le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat étant donné qu’elles offrent uniquement la possibilité d’utiliser la technique de l’étourdissement réversible lors de l’abattage d’animaux dans le cadre d’un rite religieux. Elle en conclut que cesdites normes ne sauraient être interprétées en ce sens qu’elles définiraient les procédés d’abattage particuliers requis pour les rites religieux.
Quatrièmement, la Cour constitutionnelle considère que « le décret attaqué n’interdit ni n’entrave la mise en circulation en Belgique de produits d’origine animale provenant d’animaux abattus dans une autre région ou dans un autre pays de manière rituelle et sans étourdissement préalable ». Il en résulte que « les boucheries ne se trouvent pas dans l’impossibilité de s’approvisionner en viande provenant d’animaux abattus rituellement ».
En ce qui concerne le droit du travail, la Cour constitutionnelle relève que « le décret attaqué autorise un procédé d’étourdissement alternatif » et rappelle que les normes querellées « n’interdisent pas l’abattage rituel en tant que tel, mais ont uniquement des conséquences sur un aspect de l’acte rituel spécifique que constitue ledit abattage, à savoir l’aspect qui porte sur les modalités de la mise à mort de l’animal et qui concerne la protection du bien-être des animaux ». Partant, « le décret ne touche pas aux autres aspects du rite de l’abattage, qui peut être effectué par les abatteurs conformément aux préceptes des religions juive et islamique ».
Cinquième et dernièrement, la Cour constitutionnelle s’est prononcée par la négative sur la question de la violation alléguée du principe d’égalité et de non-discrimination.
En conclusion, la Cour constitutionnelle considère que le principe de l’étourdissement obligatoire des animaux préalablement à leur mise à mort, moyennant le procédé d’étourdissement réversible et insusceptible d’entraîner la mort de l’animal, tel qu’imposé par le Décret du 17 juillet 2017 et le Code WBEA, n’entre pas en contradiction avec la Constitution belge.
Portée de la décision
Ces arrêts pourraient bien avoir une influence prochaine sur la législation applicable en Région de Bruxelles-Capitale. En effet, le ministre bruxellois du bien-être animal a déclaré que le dossier sera sur la table du gouvernement dès le 14 octobre prochain. Un alignement de la Région de Bruxelles-Capitale sur les deux autres régions du pays sera donc au cœur des débats au gouvernement bruxellois.
Par ailleurs, un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ») est à prévoir. Ce sont du moins les intentions déjà exprimées par plusieurs associations de confession juive et musulmane.
A cet égard, nous citerons notamment les jurisprudences actuelles suivantes de la Cour EDH qui iraient plutôt dans le sens d’une confirmation de ce qu’ont décidé la Cour constitutionnelle et la CJUE :
Il sera intéressant d’observer si la Cour EDH persévère dans sa jurisprudence .
[1] Pour obtenir un résumé de l’affaire, voyez le communiqué de presse de la Cour constitutionnelle, disponible en libre accès sur le lien suivant : https://www.const-court.be/public/f/2021/2021-117f-info.pdf
[2] Voyez les articles 15 et 16 de la Loi de 1986, disponible en libre accès sur le lien suivant : https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg_2.pl?language=fr&nm=1986016195&la=F
[3] Voyez l’article 3 du Décret du 17 juillet 2017, disponible en libre accès sur le lien suivant : http://www.ejustice.just.fgov.be/doc/rech_f.htm
[4] Voyez l’article D.57 du Code WBEA, disponible en libre accès sur le lien suivant : http://bienetreanimal.wallonie.be/home/legislation/legislationlist/liste-de-legislations-bea/bienetre067-W.html
[5] https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:303:0001:0030:FR:PDF
[6] C. const., 4 avril 2019, arrêt n°53/2019, disponible en accès direct sur ce lien : https://www.const-court.be/public/f/2019/2019-053f.pdf
[7] CJUE, 17 décembre 2020, affaire n°C-336/19, disponible en accès direct sur ce lien : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:62019CJ0336&qid=1609166694817&from=FR
Pour de plus amples informations, voir l’article « Arrêt du 17 décembre 2020 de la CJUE validant la possibilité d’imposer l’étourdissement réversible préalable lors des abattages rituels » (http://kyifteh.cluster028.hosting.ovh.net/index.php/2021/01/27/arret-du-17-decembre-2020-de-la-cjue-validant-la-possibilite-dimposer-letourdissement-reversible-prealable-lors-des-abattages-rituels/)
[8] C. const., 30 septembre 2021, arrêt n°117/2021, disponible en accès direct sur ce lien : https://www.const-court.be/public/f/2021/2021-117f.pdf
[9] C. const., 30 septembre 2021, arrêt n°118/2021, disponible en accès direct sur ce lien : https://www.const-court.be/public/f/2021/2021-118f.pdf
[10] L’article 4 du Règlement n°1099/2009 édicte une obligation d’étourdissement préalable des animaux à l’abattage, avec une exception pour l’abattage d’animaux selon des méthodes particulière prescrites par des rites religieux. L’article 26 du Règlement n°1099/2009 prévoit une possibilité pour les Etats membres d’adopter des règles visant à assurer aux animaux une plus grande protection que celle prévue par les dispositions du Règlement n°1099/2009.
[11] CJUE, 27 juin 2000, affaire Cha’are Shalom ve Tsedek c. France, arrêt disponible en libre accès sur le lien suivant : https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22tabview%22:[%22document%22],%22itemid%22:[%22001-63274%22]}
[12] CJUE, 1er juillet 2014, affaire S.A.S. c. France, arrêt disponible en libre accès sur le lien suivant : https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22fulltext%22:[%22sas%22],%22documentcollectionid2%22:[%22GRANDCHAMBER%22,%22CHAMBER%22],%22itemid%22:[%22001-145240%22]}