Auteure : Pénélope Ehles, Etudiante Master 2 Droit de l’environnement
L’animal est reconnu comme un être « doué de sensibilité » depuis 1976 dans le Code rural et de la pêche maritime et depuis 2015 dans le Code civil. Pour autant, sa protection juridique est disparate et varie selon la fonction qu’il revêt : animal de compagnie, de travail, de divertissement, d’expérimentation, de consommation ou encore l’animal sauvage considéré comme élément de l’environnement. Cette mosaïque reflète l’hétérogénéité du droit à son égard. L’affaire du bébé phoque femelle (plus tard nommée Laëtitia) illustre parfaitement ces contrastes. Le 15 septembre 2019, Laëtitia est blessée après avoir été frappée à coups de pied par un pêcheur à Malo-les-Bains et décèdera quelques jours plus tard au centre de soins de la faune sauvage LPA Calais.
Le 20 octobre 2020, le tribunal correctionnel de Dunkerque déclare l’homme coupable de « tentative de destruction non autorisée d’espèce animale non domestique » et le condamne à effectuer 140 heures de travaux d’intérêt général et au versement d’une somme de 4 500 euros de dommages et intérêts aux six associations de défense animale constituées parties civiles. Le procureur avait quant à lui requis une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et une peine d’amende de 3 000 euros. Le défendeur interjette appel du jugement.
Le 15 novembre 2021, la Cour d’appel de Douai le déboute de sa demande de relaxe et le condamne à une peine d’emprisonnement de 6 mois avec sursis et à 300 euros de dommages et intérêts en faveur des associations parties civiles ainsi que 800 euros de frais d’avocats. Le parquet avait requis une peine d’emprisonnement de six mois ferme et de 5 000 euros d’amende.
Ainsi, ces deux décisions laissent clairement apparaître le statut subsidiaire de l’animal sauvage (I) qui est protégé, sous certaines conditions, par le droit de l’environnement (II).
I. L’animal sauvage : un statut subsidiaire
La complexité autour de la défense pénale de l’animal sauvage est la conséquence, pour grande partie, de sa définition. Les animaux sauvages sont des res nullius, autrement dit des choses sans maître qui vivent à l’état de liberté naturelle et font ainsi partie d’un tout : l’environnement. Le Code de l’environnement leur offre une protection qui n’est donc pas individuelle, mais globale. La faune sauvage est ainsi envisagée comme un « stock » dont la gestion dépend de l’abondance ou non de l’espèce. Lorsque la population d’un animal est en augmentation constante, le « prélèvement » sera autorisé. A contrario si la population diminue au point d’être menacée, elle bénéficiera alors d’une protection spécifique afin d’éviter sa disparition.
La législation en vigueur ne réprime pas les atteintes à l’encontre d’un individu lorsqu’il vit en état de liberté et il ne dispose ainsi pas de protection pénale substantielle, seules les dispositions du Code de l’environnement lui sont applicables. Le jugement de première instance en fait par ailleurs état, et ce sont les arguments que la défense a employés : le phoque est une espèce sauvage et ne peut se voir par conséquent appliquer le délit de cruauté de l’article 521-1 du Code pénal (punissable de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende) qui concerne exclusivement « un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité ». L’état du droit ne peut donc pas permettre l’application de cette disposition, et ce même quand l’animal sauvage est victime de la cruauté humaine, d’un acte intentionnellement violent.
Muriel Falaise, juriste et maître de conférence à l’Université Lyon 3, a estimé lors du colloque organisé par la LFDA en 2021 sur l’animal sauvage, qu’en l’absence d’une reconnaissance de la sensibilité de l’animal sauvage et d’un statut plus protecteur identique aux animaux domestiques, apprivoisés et captifs, les juges pourraient considérer l’animal comme captif, car étant au moment des faits de violences, aux mains de l’Homme. Ce raisonnement pourrait ainsi permettre l’application de l’article 521-1 du Code pénal et offrir à l’animal sauvage une protection individuelle et substantielle.
Cependant, il convient de noter la sanction requise par le Ministère public : une peine d’emprisonnement est requise en première instance comme en appel. Bien que la peine prononcée soit assortie de sursis, ce qui est un simple aménagement de peine, le pêcheur est bien reconnu coupable de l’atteinte portée à l’environnement. C’est donc une décision notable qui ne doit pas sembler insuffisante, car la majorité des actes de cruauté commis sur des animaux bénéficiant de l’article 521-1 du Code pénal sont rarement punis d’une peine d’emprisonnement ferme. La décision rendue dans l’affaire bien connue du chaton Oscar qui avait fait l’objet de multiples lancers dont l’auteur s’était vanté sur les réseaux sociaux en publiant des videos, avait été une exception. L’auteur avait été condamné à une peine de prison ferme d’un an, peine reconnue comme étant « exemplaire ». Mais si elle a pu être aussi lourde, c’est notamment au regard du casier judiciaire important de l’accusé (Tribunal correctionnel de Marseille, 1er février 2014).
Bien que les animaux sauvages correspondent à une catégorie bien à part, les espèces dont le statut de conservation est menacé sont quant à elles protégées par des dispositions spéciales palliant la carence de la règle générale.
II. L’animal sauvage : une protection octroyée selon l’indice de conservation
Le phoque attaqué sur les plages de Dunkerque était un veau marin, de son nom scientifique Phoca vitulin. Cette espèce est protégée par l’article 3 de l’arrêté du 1er juillet 2011 consacré aux mammifères marins. Ainsi, il peut en ce sens bénéficier de la protection de l’article 415-3 du Code de l’environnement selon lequel « est puni de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende [le fait] de porter atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques ». L’auteur des actes de violence sur Laëtitia était poursuivi pour ce motif (« tentative de destruction d’une espèce protégée »). Toutefois cette justification semble biaisée en raison de la nature des violences. En effet par ce biais, c’est l’atteinte à l’environnement qui est prise en compte et non la douleur infligée. Cela a été illustré aussi par la décision concernant des tortues d’Hermann, espèce protégée : un exploitant voulant étendre son activité viticole , avait défriché cinq hectares d’un espace situé en réserve naturelle, tuant par la même occasion deux tortues. Le tribunal avait condamné l’exploitant à une peine d’amende de 100 000 euros ainsi qu’à 375 700 euros pour préjudice écologique (Tribunal de Draguignan, 24 septembre 2021).
Qu’en aurait-il été si le phoque ne figurait pas parmi la liste des animaux de l’arrêté de 2011 ?
La sensibilité de l’animal sauvage, notamment du phoque, a déjà été reconnue dans le règlement n°1007/2009 aux termes duquel l’UE interdit l’importation, le transit et la mise sur le marché de produits dérivés du phoque sur le territoire de l’Union qui ne sont pas issus de la chasse traditionnelle. Ce qu’il est intéressant de souligner est la justification de cette mesure qui reconnaît que « les phoques sont des animaux sensibles qui peuvent ressentir de la douleur, de la détresse, de la peur et d’autres formes de souffrance ». Ainsi la chasse non traditionnelle et qui n’est pas pratiquée strictement à des fins de subsistance est interdite (article 3, §1). Il est donc justifié de se demander comment un animal reconnu sensible par le droit de l’Union afin de le protéger de pratiques reconnues comme cruelles à savoir « toutes les méthodes de chasse cruelles ne garantissant pas une mort instantanée, sans souffrances, des animaux », (considérant 1 du règlement cité ci-dessus)), ne pourrait pas l’être en droit interne lorsque son bien-être est remis en cause, à titre individuel.
En conclusion seule la reconnaissance juridique de la sensibilité de tous les animaux, indépendamment de leur situation, pourrait permettre une protection de l’animal sauvage et donc la sanction de toute atteinte individuelle, la réglementation relative à la protection des espèces menacées devant demeurer en vigueur car correspondant à la règle spéciale en matière de protection de faune sauvage vivant en liberté. Une telle reconnaissance entrainerait des contradictions avec certains droits comme par exemple le droit de chasser mais il serait possible d’imaginer, des dérogations comme cela est déjà le cas de la corrida ou des combats de coqs, afin de permettre une protection pénale de l’animal sauvage en tant qu’individu et non seulement comme un « stock ».
Sources :
https://www.notre-planete.info/actualites/3104-phoque-violence-pecheur-Dunkerque