Le loup, ou Canis Lupus, est une espèce non domestique, conformément à la définition donnée par l’article R-213-5 du Code de l’environnement aux termes duquel « Sont considérés comme appartenant à des espèces non domestiques les animaux n’ayant pas subi de modification par sélection de la part de l’homme ».
I) PROTECTION JURIDIQUE DU LOUP AU NIVEAU EUROPÉEN ET NATIONAL
Le loup est une espèce protégée au titre de la Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe de 1979. Aux termes de cette convention, la faune sauvage constitue « un patrimoine naturel d’intérêt majeur qui doit être préservé et transmis aux générations futures ». Ainsi, le loup figure parmi les espèces de faune strictement protégées recensées à l’annexe II de cette même convention.
En outre, l’espèce est également protégée par la directive Habitats-Faune-Flore du 21 mai 1992 (Directive 92/43/CEE), disposant que la conservation de la faune constitue un objectif essentiel d’intérêt général. Les mesures prises en vertu de cette directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement dans un « état de conservation favorable » des espèces d’intérêt communautaire. En vertu de cette directive, les États doivent prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte du loup (visé à son l’Annexe IV) en interdisant tout acte de destruction, de capture, de mise à mort, de perturbation intentionnelle ou de commerce des espèces lupines.
Ces dispositions de la Convention de Berne et de la directive Habitats-Faune-Flore ont été transposées en droit français dans le Code de l’environnement aux articles L.411-1 et 2 et R.411-1 à R.411-5.
Enfin, le loup est protégé par l’arrêté ministériel du 22 juillet 1993 mis à jour le 23 avril 2007 (JORF n°108 du 10 mai 2007, https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000649682/), qui fixe la liste des mammifères terrestres protégés sur l’ensemble du territoire français et les modalités de leur protection.
Toutefois, la Convention de Berne et la directive Habitats-Faune-Flore prévoient des dérogations aux principes ci-dessus visant à prévenir des dommages importants à l’élevage. L’État qui veut s’engager dans cette dernière voie doit cependant vérifier que certaines conditions sont réunies :
II) LES DÉROGATIONS A LA PROTECTION DU LOUP
Les dérogations à la protection de la faune et de la flore sont prévues par l’article L411-2 du Code de l’environnement en application de la Loi d’Orientation Agricole n°2006-11 du 5 janvier 2006. Le régime dérogatoire, prévu au 4° du I- de l’article L411-2 du Code de l’environnement, s’étend aux champs suivants :
L’article R411-6 du Code de l’environnement prévoit que ces dérogations sont accordées par le préfet, donc décidées au niveau départemental, encadrées par le plan national.
Depuis 2004, les plans nationaux d’actions fixent le dispositif de soutien aux éleveurs pour protéger leurs troupeaux et autoriser le prélèvement de loups. Le dernier plan national loup couvre la période allant de 2018 à 2023, en vue du maintien de l’activité d’élevage dans les zones territoriales de prédation nécessitant des mesures adaptées de protection des troupeaux.
Concernant l’espèce lupine, la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 (LOI n°20141170) impose au préfet de délivrer automatiquement, sans délai, des autorisations de prélèvements aux éleveurs dont les troupeaux sont touchés par des attaques de loups. Ces dispositions sont en contradiction avec le cadre juridique du Code de l’environnement transposant celles de la Convention de Berne et de la directive Habitats-Faune-Flore.
Pour l’année 2021, l’arrêté du 23 octobre 2020 fixant le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction pourra être autorisée chaque année (JORF n°0263 du 29/10/2020, NOR : TREL2025856A) plafonne les tirs d’abattage de loups (mâles ou femelles, jeunes ou adultes) à 19% de la population estimée en France.
L’article 1er de ce même arrêté prévoit que, lorsque qu’est atteint le seuil de 17% du plafond de 19% avant la fin de l’année civile, seuls peuvent être mis en œuvre les tirs de défense, simple et renforcée et les tirs de prélèvement. Un second arrêté du 23 octobre 2020, précise les zones dans lesquelles ces tirs sont autorisés et fixe les conditions et limites d’octroi des dérogations aux interdictions de destruction accordées par les préfets (JORF n°0263 du 29/10/2020, NOR : TREL2025177A).
Enfin, le premier arrêté du 23 octobre 2020 (NOR : TREL2025856A) prévoit également que lorsqu’est atteint, avant la fin de l’année civile, le seuil de 19%, le préfet coordonnateur du plan national d’actions sur le loup – en l’occurrence le préfet d’Auvergne-Rhône-Alpes – peut décider, par arrêté, que la mise en œuvre de tirs de défense simple pouvant conduire à l’abattage de loups peut se poursuivre dans la limite de 2% de l’effectif moyen de loups estimé annuellement, portant ainsi le nombre maximum de loups pouvant être abattus à 21%.
Face à cette nouvelle augmentation du plafond et la poursuite de cette politique de gestion par le tir, l’ASPAS (Association pour la protection des animaux sauvages) a saisi la justice d’un recours en annulation des arrêtés du 23 octobre 2020 fixant le protocole des tirs contre les loups et prévoyant une augmentation à 21% du plafond annuel de loups pouvant être tués. Ce recours demande l’annulation de ces arrêtés, et soulève une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne sur l’interprétation de la directive Habitats-Faune-Flore.
III) JURISPRUDENCE : CONSEIL D’ÉTAT ET TRIBUNAUX
1. POSITION DU CONSEIL D’ÉTAT
L’ASPAS avait déjà saisi la justice quelques années plus tôt contre la modification du cadre juridique concernant l’abattage de loups dans le cadre du plan national d’actions 2018-2023. L’ASPAS avait alors attaqué trois arrêtés et un décret devant le Conseil d’État. Le Conseil d’État avait tout d’abord jugé que le nombre maximum de loups pouvant être tués se justifiait au regard des connaissances scientifiques sur l’évolution naturelle de l’espèce en France. Le Conseil d’État avait également validé d’une part l’arrêté définissant les conditions dans lesquelles des tirs de défense peuvent être effectués en cas de dommages importants aux élevages, et d’autre part le rôle donné au préfet coordonnateur du plan national d’actions sur le loup pour adapter les modalités et l’ampleur des autorisations d’abattre des loups afin de concilier l’objectif de protection de l’espèce avec celui de protection des troupeaux domestiques.
2. DÉCISIONS DES TRIBUNAUX : UNE JURISPRUDENCE DIVISÉE
La jurisprudence concernant le prélèvement des loups et la légalité des arrêtés encadrant les dérogations est difficile à prévoir. En effet, il revient au juge administratif de décider au cas par cas de la légalité de l’abattage des loups.
En octobre 2015, des associations formaient un recours en référé concernant un arrêté du 10 septembre 2015 du préfet de la Savoie, fondé sur l’article 27 de l’arrêté interministériel du 30 juin 2015 autorisant des tirs de prélèvements renforcés. Selon elles, les troupeaux n’étaient pas suffisamment protégés, et la condition de dommages importants et récurrents n’était pas remplie, nombre de communes visées par l’arrêté n’ayant connu aucune attaque. Par ordonnance du 20 octobre 2015 (Ord., 20 oct. 2015, n°1505687 et 1505902), le Tribunal administratif de Grenoble observera cependant, qu’aucun de ces moyens n’est de nature à qualifier de doute sérieux la légalité de l’arrêté contesté.
En revanche, l’ordonnance rendue par le Tribunal administratif de Toulon le 14 septembre 2015 (Ord., 4 sept. 2015, n° 1503106) considère que les incertitudes sur le nombre de loups présents dans la région, et le risque subséquent de déstabilisation de l’espèce au regard des impératifs européens et internationaux de la France en matière de protection du loup permettent de qualifier, en partie, de sérieux ce doute. De plus, en l’espèce, il existait une incertitude concernant la mise en œuvre et l’échec (au moins partiel) de tirs de défense, qui conditionnaient pourtant l’autorisation de tirs d’abattage. L’article 22 de l’arrêté de 2015 prévoyait la tenue d’un registre des tirs de défense, qui faisait défaut en l’espèce et le préfet ne pouvait donc pas démontrer que des tirs de défense préalables avaient réellement été réalisés.
On peut également citer pour illustrer la divergence entre les jurisprudences, deux jugements rendus contre des arrêtés préfectoraux d’abattage de loup sur le fondement de l’arrêté interministériel du 18 juillet 2017 fixant le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2017-2018 (JORF n°0168 du 20 juillet 2017, https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000035243570/).
Dans la 1ere affaire, le groupement d’études des mammifères de Lorraine avait demandé la suspension de l’exécution de l’arrêté du préfet des Vosges du 02 août 2017, qui autorisait des tirs de défense renforcée sur le loup qui s’attaque à l’élevage ovin de M. X. Par une ordonnance du 12 octobre 2017 (TA Nancy, Ord., 12 octobre 2017, n° 1702570), le juge des référés du Tribunal administratif de Nancy a rejeté cette demande au motif que la condition d’urgence n’était pas remplie : « l’urgence devant s’apprécier globalement, il y a lieu de prendre en considération les circonstances que l’exercice professionnel et la vie privée de l’éleveur intéressé sont bouleversés par l’exposition permanente au risque d’attaques de loup; que ces intérêts privés et publics doivent être mis en balance avec les intérêts défendus par le groupement requérant ; qu’eu égard à l’ensemble de ces circonstances, il n’est pas justifié d’une urgence autorisant le juge des référés à suspendre l’exécution de l’arrêté litigieux ».
Le même jour, le Tribunal administratif de Grenoble censurera l’autorisation d’abattage des loups (TA Grenoble, 12 octobre 2017, n°1505686,1505897), en se fondant sur l’article 27 de l’arrêté interministériel du 30 juin 2015 (JORF n°0151 du 2 juillet 2015) aux termes duquel des mesures de prélèvement ne peuvent intervenir que dans le cas où, après la mise en œuvre de tirs de défense, les prédations du loup ont persisté. Ainsi, le Tribunal administratif a considéré qu’il n’était pas possible d’autoriser des tirs létaux sans avoir au préalable réalisé de tirs de défense visant à éloigner les loups.
IV) L’APPLICATION DU PRINCIPE DE PRÉCAUTION AU PROFIT DE LA PROTECTION DES ESPÈCES CONSACRÉ PAR LA CJUE DANS L’ARRÊT TAPIOLA (CJUE, n°c-674/17, 10 oct.2019)
L’article 16, paragraphe 1 de la directive Habitats-Faune-Flore prévoit deux conditions obligatoires et préalables pour toute dérogation, suivies de cinq objectifs qui justifient la demande de dérogation. Parmi ces objectifs figure la prévention des dommages importants notamment pour l’élevage.
Tout d’abord, un État membre peut déroger à la protection d’une espèce s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante. Ainsi, l’État membre doit démontrer, de façon précise, l’absence d’une autre mesure ou alternative satisfaisante et moins radicale permettant d’atteindre les objectifs de la dérogation demandée. La Finlande sera condamnée à ce titre en 2007 (arrêt du 14 juin 2007, Commission/Finlande, C342/05)
Dans l’arrêt Tapiola (CJUE, n°C-674/17, 10 oct. 2019), la seule existence d’une chasse illégale ou la difficulté de la contrôler ne suffisent pas à dispenser la Finlande de son devoir de protection des loups, mais supposent de renforcer ses contrôles. La lutte contre le braconnage doit faire l’objet d’une mesure nationale de contrôle à long terme et non d’une dérogation qui par nature doit rester exceptionnelle.
Dans un second temps, un État membre peut déroger à la protection d’une espèce à condition que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
La CJUE estime que l’évaluation de l’impact d’une dérogation sur l’état de conservation d’une population s’apprécie à l’échelle nationale mais dépend aussi de l’incidence sur les zones locales, dès lors que l’aire de répartition naturelle l’exige.
Dès lors, la Cour doute que le plan national finlandais de gestion du loup et l’arrêté fixant le nombre maximal de spécimens pouvant être abattus puissent respecter cette seconde condition dans la mesure où le braconnage et les morts naturelles de loups ont un effet cumulatif.
Au vu de ces éléments, l’arrêt Tapiola apparaît comme une nouvelle étape dans la protection des espèces avec l’émergence du principe de précaution. De valeur constitutionnelle en France et habituellement appliqué en matière de santé, le principe de précaution pourrait être désormais invoqué lors de mesures dérogatoires à l’égard d’espèces protégées, dont les loups.
V) LES SANCTIONS EN DROIT FRANÇAISLa destruction ou tentative de destruction d’une espèce protégée en méconnaissance des procédures de dérogations présentées précédemment est un délit pénal puni par l’article L 415-3 du code de l’Environnement, sanctionné d’une peine de 3 ans d’emprisonnement et/ou de 150 000 € d’amende. En cas de destruction en bande organisée, la sanction peut aller jusqu’à 7 ans d’emprisonnement et 750 000 € d’amende.
Constitue une contravention de 4ème classe punie par l’article R415-1 1° du Code de l’environnement, sanctionnée par une amende de 750 € maximum, la perturbation intentionnelle d’une espèce protégée.