I) LE STATUT JURIDIQUE DE L’OURS BRUN
1. AU NIVEAU NATIONAL
En France, l’ours brun est protégé par un arrêté interministériel du 17 avril 1981 fixant la liste des
mammifères protégés sur l’ensemble du territoire. Cet arrêté a par la suite été modifié par l’arrêté du
22 juillet 1993 qui transpose pour partie la Convention de Berne de 1979 et la directive européenne
dite « Habitats » de 1992, puis par l’arrêté du 16 décembre 2004.
L’ours brun étant une espèce animale strictement protégée au niveau national, l’article L.411-1 du
Code de l’environnement interdit toute perturbation intentionnelle des spécimens d’ours.
2. AU NIVEAU DE L’UNION EUROPÉENNE
L’ours brun est protégé par la directive 92/43/CEE du Conseil adoptée le 21 mai 1992 concernant la
conservation des habitats naturels ainsi que des espèces de la faune et de la flore sauvages, aussi
appelée directive « Habitats ».
Au regard de cette directive européenne, l’ours brun est une espèce européenne protégée puisqu’elle
est inscrite à l’annexe II, regroupant les espèces animales et végétales d’intérêt communautaire dont
la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation intégrées dans le réseau
Natura 2000, mais également à l’annexe IV qui recense les espèces animales et végétales d’intérêt
communautaire qui nécessitent une protection stricte.
3. AU NIVEAU EUROPÉEN
On retrouve une Convention du Conseil de l’Europe relative à la conservation de la vie sauvage et du
milieu naturel de l’Europe signée à Berne le 19 septembre 1979. Au titre de cette convention, l’ours
brun est considéré comme étant une espèce animale de faune strictement protégée (annexe II).
4. AU NIVEAU INTERNATIONAL
La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées
d’extinction du 3 mars 1973, dite Convention de Washington, classe l’ours brun parmi les espèces
dont le commerce international est réglementé au sein de son annexe II.
Les importations et les exportations d’ours bruns sont ainsi soumises à l’obtention d’une autorisation
préalable.
II) LA PROTECTION DE L’OURS BRUN
1. LE PRINCIPE DE CONSERVATION
L’objectif de la directive européenne « Habitats » est d’assurer le maintien ou la restauration dans un
état de conservation favorable des espèces d’intérêt communautaire.
En tant qu’elle reconnaît à l’ours brun la qualité d’espèce animale d’intérêt communautaire, ladite
directive soumet donc les Etats membres de l’Union européenne à certaines d’obligations.
● En premier lieu, elle impose aux États membres de désigner, sur leur territoire national, des
sites abritant des populations d’ours bruns ;
● En second lieu, l’ours brun est une espèce animale strictement protégée sur l’ensemble du
territoire européen. Afin de garantir cette protection, des mesures de conservation
nécessaires au maintien ou au rétablissement des populations dans un état de conservation
favorable, doivent donc être appliquées au sein des sites spéciaux de conservation désignés
par les Etats membres.
l’existence d’une population d’ours bruns dont les effectifs se limiteraient au minimum viable n’était
pas de nature à caractériser un état de conservation favorable. La France a donc l’obligation de
prendre toutes les mesures requises devant permettre d’atteindre un tel état de conservation au
niveau des Pyrénées.
2. LES MESURES DE RÉINTRODUCTION
Pour atteindre cet état de conservation favorable, chaque Etat membre est libre de décider des
mesures à adopter en faveur de cette espèce. Afin d’assurer la restauration des populations
présentes sur son territoire, la France a ainsi mis en œuvre plusieurs programmes de réintroduction
des ours bruns dans les Pyrénées.
Toutefois, par un
arrêt rendu le 6 mars 2018 par le TA de Toulouse, l’Etat français a été condamné
pour carence fautive eu égard à sa politique de réintroduction des ours bruns. En effet, le tribunal a
estimé que la France ne satisfaisait pas à son obligation de rétablissement de l’ours brun dans un état
de conservation favorable car les autorités nationales n’avaient pas procédé aux diverses
réintroductions initialement prévues afin de remplacer de manière systématique les ours décédés
accidentellement et que la redéfinition du plan d’actions relatif à la restauration et à la conservation de
l’ours brun n’était pas aboutie au terme de huit ans de travaux. Le juge administratif a par ailleurs
considéré que les oppositions locales à la réintroduction des ours bruns ne permettaient pas de
justifier une telle carence des autorités françaises.
En outre, en janvier 2021, la Commission européenne a demandé aux autorités françaises de
respecter son plan d’actions ours brun 2018-2028 et de procéder à de nouvelles réintroductions dans
les Pyrénées de façon à remédier à l’état de conservation défavorable de l’espèce en France.
III) LES DEROGATIONS A LA PROTECTION DE L’OURS BRUN
1. LES MOTIFS DE DÉROGATION À LA PROTECTION
La Convention de Berne et la directive européenne dite « Habitats » prévoient également des
dérogations au principe de protection de l’ours brun lors de situations exceptionnelles.
Ces dérogations ont été reprises au sein de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement qui prévoit la
délivrance de telles dérogations :
– dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des
habitats naturels ;
– dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ; ou encore
– pour prévenir les dommages importants aux troupeaux domestiques.
À condition cependant qu’il n’existe pas d’autres solutions satisfaisantes et que ces opérations ne
nuisent pas au maintien des populations d’ours bruns dans un état de conservation favorable.
2. LES MESURES D’EFFAROUCHEMENT
de l’ours brun dans les Pyrénées à titre expérimental pour prévenir les dommages causés aux
troupeaux. Cet arrêté, fixant les conditions et les limites dans lesquelles des dérogations à
l’interdiction de perturbations intentionnelles des ours bruns peuvent être accordées par les préfets,
permet d’autoriser le recours à des moyens d’effarouchement simple ou renforcé à l’aide de tirs non
létaux.
arrêté. En effet, le juge administratif a estimé que les conditions de mise en œuvre des mesures
d’effarouchement renforcé n’étaient pas assez encadrées, ce qui était de nature à porter atteinte au
maintien des populations d’ours ou à compromettre l’amélioration de l’état de conservation de
l’espèce.
Entretemps, un nouvel arrêté ministériel d’effarouchement, du 12 juin 2020, identique à celui de 2019,
avait été publié. Celui-ci a donc été annulé par une décision du Conseil d’Etat du 25 avril 2022, pour
les mêmes raisons.
a pourtant annulé l’article 4 de l’arrêté relatif à ces modalités, car leur mise en oeuvre auprès des
femelles en gestation et suitées n’est pas expressément encadrée, et ne permettait donc pas de
s’assurer que les dérogations accordées sur ce fondement ne portaient pas atteinte au maintien des
populations et ne compromettaient pas l’amélioration de l’état de l’espèce.
2022. On notera que six arrêtés pris par la préfète de l’Ariège au cours de l’été 2022 sur la base de
cet arrêté du 20 juin 2022 et autorisant l’effarouchement de l’ours sur certaines estives des Pyrénées
2022.
brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux a abrogé l’arrêté du 20 juin 2022
pour rétablir des dispositions pour l’essentiel identiques, sous réserve de précisions concernant les
conditions de mise en œuvre de l’effarouchement renforcé. Les mots « tirs non létaux » sont remplacés
par les mots « tirs à effet sonore ». Ces tirs ne peuvent plus être mis en œuvre que par un agent de
l’Office français de la biodiversité, et non plus par l’éleveur, par le berger, par un lieutenant de
louveterie ou par un chasseur. Si l’ours en cause est une femelle suitée, le tir ne peut intervenir que
lorsque les conséquences dommageables pour le troupeau résultant du comportement du prédateur
apparaissent certaines. Cet arrêté a immédiatement fait l’objet d’un référé-suspension initié par
Même si l’on peut supposer que le Conseil d’Etat sera certainement saisi de nouveau sur le fond de
ce texte, qui est loin de faire l’unanimité, il semble que la règle de droit en matière d’effarouchement
pourrait être en passe de se préciser autour de ce dernier arrêté, qui tient compte des éléments
motivant les censures précédentes du Conseil d’Etat.
3. LES MESURES D’INDEMNISATION DES PERTES SUBIES PAR LES ÉLEVEURS
Un décret du 9 juillet 2019 relatif à l’indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques
par le loup, l’ours et le lynx prévoit les modalités d’indemnisation des pertes subies par les éleveurs du
fait de la prédation de l’ours brun.
Il faut noter que l’indemnisation des éleveurs peut être décidée par le préfet compétent lorsque rien ne
permet de conclure avec certitude à la responsabilité d’un ours brun mais que cette responsabilité ne
peut pas être écartée dans les pertes subies par les éleveurs, ou bien en cas de contexte local de
prédation.
L’Etat s’est engagé à prendre des mesures afin d’accompagner les éleveurs face au potentiel risque
de prédation des troupeaux par l’ours brun sur le territoire pyrénéen. Cela s’est notamment traduit par
la feuille de route « pastoralisme et ours » qui vise la cohabitation des activités de pastoralisme avec
la présence d’une population d’ours : « moyens destinés à la protection des troupeaux, notamment
pour l’équipement de cabanes dans les estives, le renfort de bergers d’appui, ainsi que la mise en
place de diagnostics pastoraux et d’analyses de vulnérabilité, la mise en place de mesures
expérimentales d’effarouchement ou encore la mise en place d’un protocole dédié aux estives
surprédatées en complément du protocole « ours à problème » [1] ». Cette feuille de route permet
également un système d’indemnisation conduisant à une indemnisation systématique des éleveurs si
la responsabilité de l’ours ne peut pas être écartée dans les pertes subies par les éleveurs.
4. LES MESURES D’INTERDICTION DE LA DIVAGATION DES OURS BRUNS
L’article L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales confie au maire, autorité de police
municipale, le soin de prendre et de mettre en œuvre les mesures nécessaires et adaptées en vue de
protéger les personnes et les biens mais aussi de faire cesser les dommages résultant de l’errance
d’animaux malfaisants ou féroces sur le territoire de sa commune.
Toutefois, le maire ne peut prendre de telles mesures de protection qu’à la condition que des
circonstances locales particulières mettent en évidence les dangers que présenterait la présence
d’ours bruns pour les personnes et les biens situés sur le territoire de sa commune.
Un maire ne peut donc interdire par arrêté la divagation des ours bruns sur l’ensemble du territoire de
sa commune, sans se fonder sur des circonstances locales particulières (arrêts rendus par le TA de
Pau, 19 janvier 2021).
5. RENCONTRES ENTRE OURS ET CHASSEURS : LE VOLET PÉNAL et CIVIL
Le 1er novembre 2004, au cours d’une battue au sanglier à Urdos, un chasseur abat Cannelle, à
l’époque la dernière ourse des Pyrénées. Poursuivi pour destruction d’espèce protégée devant le
Tribunal correctionnel de Pau, il est relaxé en appel le 21 avril 2008. L’infraction est bien constituée
mais l’aspect « intentionnel » est écarté. Concernant le fameux « état de nécessité », le tribunal a
retenu la légitime défense.
Cependant, le chasseur ainsi que la société de chasse dont il dépendait ont tous deux été
condamnés, respectivement au paiement de 10 000 euros et 53 000 euros de dommages-intérêts aux
associations qui se sont portées parties civiles. En effet, il a été démontré que la société de chasse
avait connaissance de la présence de l’ourse sur son territoire d’intervention, et que le chasseur
participait à la battue en connaissance de cause, et avait quitté son refuge alors que les secours
arrivaient.
D’autres procédures ont été initiées pour des faits de destruction d’espèce protégée suite à des tirs
mortels sur des ours : Caramelle, tuée lors d’une battue le 20 novembre 2021 et Gribouille tué le 9 juin
2020 en Ariège.
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