Auteure : Julie Nicolas, doctorante
Le 11 mai dernier, la Cour suprême des États-Unis a rendu une décision importante pour la protection des animaux d’élevage en rejetant l’appel formé devant elle par des groupements de producteurs agricoles visant à déclarer contraire à la Constitution américaine la Proposition 12 de la Californie [1].
Cette Proposition 12 de la Californie, également surnommée la loi sur la prévention de la cruauté envers les animaux d’élevage [2], est une proposition de loi qui fut présentée aux électeurs californiens lors des élections générales du 6 novembre 2018. Cette proposition de loi ayant obtenue plus de 62% de votes favorables [3], elle a été adoptée par l’État américain de Californie puis est entrée en vigueur le 1er janvier 2022.
En application de cette loi [4], il est désormais interdit au propriétaire ou bien à l’exploitant d’une exploitation agricole située sur le territoire californien de sciemment confiner les animaux qu’il élève dans des conditions cruelles [5]. Plus précisément, cette nouvelle loi impose aux éleveurs de ne pas confiner les truies, les veaux élevés pour leur viande et les poules pondeuses dans des conditions qui les empêchent de se tenir debout, de se retourner ou d’étendre leurs membres. La loi sur la prévention de la cruauté envers les animaux d’élevage interdit également la vente au sein de l’État californien de viande de porc, de viande de veau ou d’œufs issus d’animaux d’élevage ayant été confinés dans des conditions cruelles.
À la suite du vote de cette proposition de loi, de nombreux groupements de producteurs agricoles mécontents ont intenté des actions en justice afin d’empêcher son entrée en vigueur, mais sans succès. C’est dans ce contexte que les Producteurs de porc américains (National Pork Producers) et la Fédération des producteurs agricoles américains (American Farm Bureau Federation) ont saisi la justice américaine dans l’espoir de faire invalider la Proposition 12 de la Californie. Leur action en justice fut toutefois rejetée par le tribunal de district des États-Unis en charge du district sud de la Californie dans une décision en date du 27 avril 2020 [6]. Cette décision de rejet fut ensuite confirmée par la Cour d’appel des États-Unis en charge du neuvième circuit le 28 juillet 2021 [7]. Les deux organisations ont alors saisi la Cour Suprême des États-Unis le 11 octobre 2022 afin d’obtenir l’infirmation de la décision rendue pour la Cour d’appel du neuvième district ainsi que l’invalidation de la nouvelle loi californienne.
Dans le cadre de cet ultime recours, les deux groupements de producteurs agricoles requérants alléguaient que la Proposition 12 de la Californie était contraire à la clause de commerce dormante de la Constitution des États-Unis, car elle entravait de manière inadmissible le commerce entre les différents États américains, alors même que la réglementation du commerce entre les États relèverait de la compétence du gouvernement fédéral en vertu de cette clause constitutionnelle. De plus, ils faisaient valoir que la mise en conformité des exploitations agricoles avec la nouvelle loi sur la prévention de la cruauté envers les animaux d’élevage entraînerait une augmentation considérable des coûts de production pesant sur les producteurs californiens et les producteurs d’autres États. En outre, puisque l’État de Californie importe la majorité de la viande consommée sur son territoire, les deux organisations requérantes prétendaient que les obligations et les coûts de mise en conformité à la Proposition 12 de la Californie pèseraient quasi-exclusivement sur des producteurs extérieurs à cet État.
Toutefois, dans une décision National Pork Producers Council v. Ross rendue le 11 mai 2023, la Cour suprême américaine a rejeté le recours formé devant elle par les Producteurs de porc américains et la Fédération des producteurs agricoles américains, reconnaissant ainsi la conformité à la Constitution des États-Unis, et en particulier à sa clause de commerce dormante, de la Proposition 12 de la Californie. En effet, tout en admettant que cette nouvelle législation californienne pouvait avoir des effets indirects extraterritoriaux sur les producteurs dont les exploitations agricoles sont situées en dehors de cet État, la plus haute juridiction américaine a rappelé que les entreprises agricoles faisant le choix de commercialiser leurs produits dans plusieurs États sont logiquement tenues de se conformer à la législation des différents États considérés.
Bien que la Cour suprême des États-Unis se fonde avant tout sur la conformité à la clause constitutionnelle de commerce dormante de la loi de Californie et sur le respect de la volonté des électeurs californiens pour motiver sa décision, cet arrêt aura nécessairement un impact majeur sur le bien-être animal dans de nombreux États américains en raison de l’autorité du précédent dans la jurisprudence américaine. Il ne paraît donc pas impensable que d’autres États suivent l’exemple de la Californie et décident d’adopter des législations visant à améliorer les conditions de vie des animaux d’élevage.
[1] https://www.supremecourt.gov/opinions/22pdf/21-468_5if6.pdf
[2] Prevention of Cruelty to Farm Animal Act en anglais
[3] Voir en ce sens : https://elections.cdn.sos.ca.gov/sov/2018-general/sov/2018-complete-sov.pdf
[4] Le contenu de la Proposition 12 de la Californie est disponible via le lien suivant : https://vig.cdn.sos.ca.gov/2018/general/pdf/topl.pdf#prop12
[5] Ces différentes interdictions sont désormais contenues au sein du Code californien de la santé et de la sécurité
[6] https://www.agri-pulse.com/ext/resources/pdfs/courts/NPPC-Prop12-order.pdf
[7] https://casetext.com/case/natl-pork-producers-council-v-ross-2