Auteur : Teddy Junior Crozatier, étudiant Master 2 Droit international
Lors d’une ultime session de négociation qui s’est déroulée du 15 au 26 août 2022 puis du 20 février au 3 mars 2023, les États se sont mis d’accord sur un projet de Convention sur la protection de la biodiversité au-delà des zones de juridiction nationale (accord B.B.N.J.[1])[2]. Cet accord fait suite à cinq années de négociations au sein de la Conférence sur la biodiversité marine[3], auxquelles se sont rajoutées une dizaine d’années supplémentaire à travailler sur un instrument juridique visant l’exploitation durable et la conservation de nos océans[4].
Cet instrument a notamment pour objectif de compléter la Convention des Nations Unies de 1992 sur le droit de la mer (CNUDM), adoptée à Montego Bay (Jamaïque)[5]. Considérée comme la « Constitution des Océans »[6], la CNUDM reste très en retrait sur certains sujets. C’est le cas lorsque l’on évoque les instruments juridiques pour la conservation de la haute mer qui représente pourtant 64% de la surface totale des océans[7]. Seul le principe de liberté de la haute mer y régnait[8] : premier arrivé, premier servi !
C’est donc dans cette optique de complétion qu’ont été négociés le code minier, en cours de préparation au sein de l’Autorité internationale des fonds marins, relatif à l’exploitation des ressources minérales[9], et le projet de Convention B.B.N.J. relatif à la préservation des milieux marins.
L’accord B.B.N.J. porte sur quatre sujets majeurs[10] :
Dans le cadre de la protection de la biodiversité, ces quatre sujets sont interconnectés. Cependant, au regard de l’adoption récente de l’accord Kunming-Montréal, qui pose l’objectif de 30% d’aires protégés sur le globe[11], nous pouvons nous arrêter sur les outils de gestion par zone.
Ces outils ont pour but de déterminer les zones protégées et de déterminer quel cadre juridique leur sera applicable. L’apport de l’accord B.B.N.J. va reposer sur la réglementation concernant la détermination de ces zones en dehors de la juridiction des États[12]. L’accord va chercher à détailler également la responsabilité des États, lorsqu’ils ne mettent pas en œuvre leurs obligations. Néanmoins, en raison de la nature de l’accord qui produit un « droit mou » (soft law), la mise en œuvre de cette responsabilité reste limitée juridiquement.
Pour le déploiement de ces zones, ce sont les États qui devront être forces de proposition . Ainsi, ils doivent faire approuver leurs projets d’aire marine protégée auprès de la Conférence des Parties, par consensus ou majorité renforcée[13]. Si le projet est accepté, l’État en charge de la zone devra rendre régulièrement des rapports sur la qualité de sa réglementation et la mise en œuvre de celle-ci. Plusieurs outils sont alors à sa disposition, comme des outils technologiques ou des outils financiers. En effet, les États qui ne disposent pas d’assez de moyens, mais qui souhaitent proposer la création d’une aire marine protégée, pourront faire appel à un Fond spécial, créé par le projet d’accord B.B.N.J. Ce Fond finance une aide technologique adéquate et assiste les pays en développement dans leurs projets[14]. Cependant, la question de la contribution des États à ce Fond reste en suspens, et devra être réglée dès la première Conférence des Parties[15].
Enfin, on peut faire remarquer que bien que la question de la pêche en haute mer soit absente du projet d’accord, ses dispositions auront un effet indirect sur la gestion des ressources halieutiques.
À travers l’exemple de la gestion des zones, qui n’est qu’un seul des outils proposés par l’accord B.B.N.J., on peut constater l’ambition de celui-ci, que l’on peut mettre en relation avec les objectifs Kunming-Montréal. Néanmoins, cette volonté de conservation cache aussi des intérêts économiques, de la part des États et des multinationales, notamment dans l’exploitation des espèces encore inconnues qui tapissent ces fonds marins[16]. L’efficacité de cet accord repose donc sur un fragile équilibre entre protection des milieux marins et préservation des intérêts économiques, avec une place accordée au milieu marin encore trop insuffisante. Encore faut-il que l’accord atteigne un nombre suffisant de ratifications de la part des États, avant son entrée en vigueur…
Pour approfondir le sujet, rediffusion du webinaire organisé par l’IDDRI, le 15 mars 2023, disponible sur YouTube [en anglais] :
https://www.youtube.com/watch?v=BmQHtQYfhQg.
[1] Accord Biodiversity Beyond National Jurisdiction.
[2] Voir « La Conférence sur la biodiversité marine approuve le texte d’un traité sur la protection de la biodiversité au-delà des zones de juridiction nationale », Couverture des réunions & communiqués de presse, O.N.U., 3 mars 2023 (consulté le 21 mars 2023, https://press.un.org/fr/2023/mer2175.doc.htm).
[3] La première session ayant débuté le 16 avril 2018 ; voir « La Conférence sur la biodiversité marine s’ouvre sous une « pluie d’inspiration » et une « tempête de bonnes idées » », Couverture des réunions & communiqués de presse, O.N.U., 16 avril 2023 (consulté le 21 mars 2023, https://press.un.org/fr/2018/mer2069.doc.htm).
[4] G. Wright, J. Rochette, K. M. Gjerde, I. Seeger, «The long and winding road: negotiating a treaty for the conservation and sustainable use of marine biodiversity in areas beyond national jurisdiction », IDDRI, Studies N°08/18, 2018, p. 9 (consulté le 21 mars 2023, https://www.iucn.org/sites/default/files/2022-10/iddri-study-the-long-and-winding-road.pdf).
[5] Voir M. Monteux, « La place des pays en développement dans les négociations « BBNJ » », Rapport de recherche, Aix-Marseille Université, 2022, pp. 8-9.
[6] P. Ricard, « Les aires marines protégées en haute mer et la difficile conciliation entre droit de la mer et droit de l’environnement » in P. Chaumette (direction), Transforming the Ocean Law by Requirement of the Marine Environment Conservation – Le Droit de l’Océan transformé par l’exigence de conservation de l’environnement marin, Marcial Pons, 2019, p. 267.
[7] M. Battesti, « La haute mer : une « chose commune » », Stratégique, 2019/3 (N° 123), p. 86 (consulté le 21 mars 2023, https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/revue-strategique-2019-3-page-67.htm).
[8] Article 87 de la CNUDM ; voir https://fedlex.data.admin.ch/filestore/fedlex.data.admin.ch/eli/cc/2009/416/20111005/fr/pdf-a/fedlex-data-admin-ch-eli-cc-2009-416-20111005-fr-pdf-a.pdf.
[9] Pour en savoir plus, voir « Le Code minier », Notre travail, Autorité internationale des fonds marins (consulté le 21 mars 2023, https://www.isa.org.jm/the-mining-code/).
[10] Négocié avant la Conférence sur la biodiversité marine, et adopté sous la forme d’un « package deal » ; voir « Conférence sur la biodiversité marine: consensus sur le Bureau, les thèmes des futures négociations et la publication d’un avant-projet de texte », », Couverture des réunions & communiqués de presse, O.N.U., 17 avril 2018 (consulté le 21 mars 2023, https://press.un.org/fr/2018.mer2070.doc.htm).
[11] Voir « COP15: Final text of Kunming-Montreal Global Biodiversity Framework », Official CBD Press Release, Convention sur la diversité biologique, 22 décembre 2022 (consulté le 21 mars 2023, https://www.cbd.int/article/cop15-final-text-kunming-montreal-gbf-221222).
[12] A.G., Draft agreement under the United Nations Convention on the Law of the Sea on the conservation and sustainable use of marine biological diversity of areas beyond national jurisdiction, Document des Nations Unies non-édité, 4 mars 2023, articles 17, 19 et 20 (Consulté le 18 mars 2023,
[13] Ibid., art. 19 bis.
[14] Ibid., art. 52.4bis.
[15] Ibid., art. 11.5bis ante et 52.4.a.
[16] Voir C. Adaoust, « Biodiversité, ressources, climat… Les enjeux du traité sur la protection de la haute mer, négocié aux Nations unies », FranceTV Info, 3 mars 2023 (Consulté le 18 mars 2023, https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/biodiversite/biodiversite-ressources-climat-les-enjeux-du-traite-sur-la-protection-de-la-haute-mer-negocie-aux-nations-unies_5688782.html).