Auteure : Julie Nicolas, doctorante
Le 30 novembre dernier[1], la Cour de cassation a confirmé la condamnation de la société EDF et de plusieurs sociétés exploitantes de parcs éoliens dont elle assure la supervision du fait de la destruction de spécimens d’une espèce protégée : le faucon crécerellette.
En effet, le faucon crécerellette est une espèce d’oiseaux sauvages qui fait l’objet d’une protection par le droit de l’Union européenne puisqu’il est inscrit à l’annexe I de la directive européenne dite « oiseaux » qui répertorie toutes les espèces d’oiseaux devant faire l’objet de « mesures de conservation spéciale concernant leur habitat, afin d’assurer leur survie et leur reproduction dans leur aire de distribution ».[2] De plus, la destruction de faucons crécerellettes et de leur habitat est interdite par l’article L.411-1 du Code de l’environnement et constitutive du délit d’atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques protégées, réprimé par l’article L.415-3 du même Code[3].
Or, depuis la mise en service de plusieurs parcs éoliens dans le département de l’Hérault, de nombreux cadavres de faucons crécerellettes ont été découverts au pied des éoliennes par la Ligue pour la protection des oiseaux, et ce malgré l’utilisation d’un système de détection et d’effarouchement des oiseaux installé sur les éoliennes. L’association France Nature Environnement a alors assigné en justice la société EDF ainsi que les sociétés d’exploitation des différents parcs éoliens concernés afin d’obtenir l’indemnisation de son préjudice moral résultant de la destruction de spécimens d’une espèce protégée. La Cour d’appel de Versailles a donné raison à l’association France Nature Environnement par un arrêt rendu le 2 mars 2021 et les sociétés condamnées se sont pourvues en cassation devant la juridiction suprême de l’ordre judiciaire.
Dans sa décision du 30 novembre 2022, la Cour de cassation a tout d’abord rappelé que l’action formée par l’association France Nature Environnement était recevable puisqu’elle disposait bien d’un intérêt à agir en tant qu’association agréée de protection de l’environnement car son action avait pour objet la réparation de son préjudice moral causé par la destruction alléguée de spécimens de faucon crécerellette, laquelle est constitutive du délit prévu et réprimé par l’article L.415-3 du Code de l’environnement. Contrairement à ce que prétendent les sociétés requérantes, le fait que cette infraction n’ait pas encore été constatée ou constituée ne s’oppose pas selon la juridiction à ce que l’association exerce une action en réparation de son préjudice car la recevabilité d’une telle action ne peut pas être subordonnée à la démonstration préalable de son bien-fondé.
Ensuite, la Cour de cassation a confirmé dans cet arrêt que les sociétés requérantes ne bénéficiaient pas d’une autorisation administrative de destruction de spécimens d’une espèce protégée ou bien d’une dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées délivrée par l’autorité administrative, conformément à l’article L.411-2, 4° du Code de l’environnement. En l’absence d’une telle dérogation, c’est ainsi à bon droit que la Cour d’appel de Versailles a estimé que la société EDF et les sociétés exploitantes avaient violé les dispositions de l’article L.411-2 du Code de l’environnement qui fixe les règles en matière de dérogation à l’interdiction de toute destruction. La Cour d’appel de Versailles n’a donc pas porté atteinte au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires contrairement à ce qu’alléguaient les sociétés demanderesses puisque la juridiction n’a pas substitué son appréciation à celle de l’Administration en constatant simplement la violation des dispositions du Code de l’environnement.
Par ailleurs, la Cour de cassation a maintenu la condamnation des sociétés demanderesses à réparer le préjudice moral subi par l’association France Nature Environnement. En effet, elle a estimé que le délit d’atteinte à la conservation d’une espèce animale non domestique protégée était caractérisé en l’espèce car les sociétés requérantes étaient responsables de la destruction de plusieurs faucons crécerellettes entrées en collision avec leurs éoliennes et elles ont commis une faute d’imprudence par leur manque de diligence face à l’impact de leurs éoliennes sur les spécimens de faucons crécerellettes. La juridiction suprême rejette ainsi l’argument soulevé par les sociétés demanderesses et considère que la caractérisation de l’atteinte portée par elles à la conservation de cette espèce d’oiseaux protégée n’est pas requise pour que le délit réprimé par l’article L.415-3 du Code de l’environnement soit constitué.
Enfin, la Cour de cassation s’est opposée à la transmission d’une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne en l’absence de doute raisonnable sur l’interprétation à donner à l’interdiction de toute destruction d’espèces d’oiseaux sauvages protégées ainsi que de leurs habitats. Le juge judiciaire a rappelé à cette occasion que la protection des espèces protégées garantie par le droit de l’Union européenne s’applique également aux espèces qui ont atteint un état de conservation favorable[4].
Par cette jurisprudence stricte, la Cour de cassation affirme à ceux qui en doutaient que l’activité d’exploitation d’un parc éolien est également soumise à l’interdiction de destruction des espèces animales non domestiques protégées, dont le faucon crécerellette fait partie.
[1] Arrêt n°825 FS B, Cass., 3e civ., 30 nov. 2022, pourvoi n° Q 21-16.404.
[2] Article 4, directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages.
[3] Article L.415-3 du Code de l’environnement : « Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende : 1° Le fait, en violation des interdictions ou des prescriptions prévues par les dispositions de l’article L. 411-1 et par les règlements ou les décisions individuelles pris en application de l’article L. 411-2 : a) De porter atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques, à l’exception des perturbations intentionnelles ; […] c) De porter atteinte à la conservation d’habitats naturels ; […] ».
[4] Arrêt Skydda Skogen, CJUE, 4 mars 2021, C-473/19 et C-474-19.