Auteur : Pierre Georget, Doctorant en Droit Paris 2
En juillet 2020 la commission européenne a décidé d’ouvrir trois procédures d’infraction visant la France dans le domaine du Droit animalier. La première vise le respect des dispositions de la directive « habitats » concernant « les prises accessoires » de dauphins et de marsouins par les bateaux de pêche. La deuxième est une invitation adressée à la France pour corriger ses règles en matière de protection des animaux d’expérimentation. La troisième est une demande de mettre de fin à des pratiques de chasse, telle que la chasse à la glu. Ces trois décisions sont reproduites en fin d’article. Elles permettent d’illustrer la procédure d’infraction prévue par l’article 258 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE). Mais elles posent aussi la question des moyens donnés aux citoyens européens pour alerter la commission européenne ou le parlement européen des infractions au droit européen commises par les Etats.
Une procédure d’infraction en trois étapes
L’alinéa premier de l’article 258 TFUE dispose que « si la commission estime qu’un Etat a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle envoie un avis motivé après avoir mis en mesure cet Etat de présenter ses observations ». Deux étapes sont ici décrites, d’abord celle d’une demande faite à l’Etat présumé défaillant de présenter ses observations, puis si les explications de l’Etat n’ont pas convaincu la commission, celle-ci lui enjoint de se conformer au droit européen par un avis motivé. Le délai pour réaliser cette conformité est généralement de 2 mois.
Les deux premières décisions évoquées plus haut, concernant la pêche et les animaux d’expérimentation, sont des mises en demeure de présenter des observations sur les conclusions présentées par la Commission concernant les infractions présumées de l’Etat en cause. La troisième portant sur la chasse à la glu est un avis motivé c’est-à-dire que la commission y confirme le constat d’infraction formulé dans la mise en demeure. Dans cette dernière la commission demande « à la France de prendre des mesures contre certaines pratiques de chasse et de capture d’oiseaux ». Il s’agit d’utilisation de la glu, des filets et de pièges, mais aussi de l’autorisation de la chasse des oies cendrées pendant leur période de migration vers leur site de reproduction. Dans cet avis apparaît la troisième étape de la procédure d’infraction prévue par l’alinéa 2 l’article 258 du TFUE, celle de la saisine de la Cour de Justice de l’UE ; « Si l’État en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne ». C’est précisément ce qu’indiquent les phrases conclusives de l’avis motivé adressé à la France ; « À la suite d’une lettre de mise en demeure qui lui a été envoyée en juillet 2019, la France n’a pas pris les mesures nécessaires pour mettre ces pratiques de chasse et de capture en conformité avec le droit de l’Union. La Commission adresse donc un avis motivé à la France. Le pays dispose à présent d’un délai de trois mois pour répondre aux préoccupations de la Commission. À défaut, la Commission pourrait décider de saisir la Cour de justice de l’UE. »
C’est cette menace de saisine de la CJUE qui a conduit le 27 août le Président de la République Emmanuel Macron et la Ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, à suspendre l’autorisation dérogatoire de pratique de la chasse à la glu pour cette année. La procédure ne connait ici qu’un succès relatif, en effet la chasse à la glu n’a été que suspendue et non pas interdite comme le demandait la commission, et les autres aspects de l’avis motivé n’ont pas reçu de réponse de la part de l’Etat Français.
Ce cas d’espèce met en évidence la longueur du délai d’instruction de la commission entre la mise en demeure de l’Etat présumé fautif de présenter ses observations et la production de l’avis motivé, ici 1 an. Et il interroge aussi sur la phase préparatoire à la mise en demeure, et en particulier sur les moyens donnés aux citoyens européens pour déposer une plainte pour infraction à la législation européenne.
Comment alerter la commission ?
Les articles 258, 259 et 260 du TFUE prévoit que les actions en manquement au respect du Droit européen peuvent être initiées par la Commission elle-même ou par un pays de l’Union vis-à-vis d’un autre pays. De même l ’article 227 TFUE accorde un droit de pétition individuel ou collectif aux citoyens devant le Parlement Européen. Un citoyen d’un pays de l’Union peut aussi se tourner vers le médiateur européen pour se plaindre d’un dysfonctionnement des institutions européennes à l’exception de la Cour de Justice, article 228 TFUE. Mais la voie la plus directe pour un individu ou une association semble être de suivre la procédure décrite sur le site[1] de la Commission. Elle donne en effet un moyen d’action directe pour initier une instruction qui pourra éventuellement déboucher sur une mise en demeure d’un Etat. Compte tenu de la place prise par le Droit européen en matière de protection de l’environnement et de la faune sauvage, ainsi que des animaux d’élevage et d’expérimentation, et des réticences de nombreux Etats membres à transposer précisément les directives, c’est très certainement un moyen d’action à privilégier.
La page du site est particulièrement explicite sur les possibilités offertes ; « Vous pouvez prendre contact avec la Commission européenne pour dénoncer une mesure (législative, réglementaire ou administrative), l’absence de mesure ou une pratique imputable à un pays de l’Union européenne, qui sera appliqué à la plainte, en particulier l’utilisation obligatoire du formulaire ainsi que le délai qui peut être de « plus de 12 mois ».
Cette voie d’action au niveau européen apparaît à la fois comme une alternative et un complément à une saisine du tribunal administratif par les associations de protection animale en cas de non-respect du Droit européen par la France. Le délai de réponse de la commission est plus long que celui d’un référé, au minimum 2 ans sans compte la procédure au sein de la CJUE, mais elle peut conduire à un véritable changement des normes juridiques.
Les décisions de la commission de juillet 2020 vis-à-vis de la France.
Nature et pêche: la Commission demande instamment à la FRANCE, à l’ESPAGNE et à la SUÈDE de prendre des mesures pour réduire les prises accessoires
La Commission demande à la France, à l’Espagne et à la Suède de mettre en œuvre les mesures requises par la directive «Habitats» (directive 92/43/CEE du Conseil) et par la politique commune de la pêche afin d’éviter les prises accessoires non durables d’espèces de dauphins et de marsouins par les navires de pêche. Les dauphins et les marsouins communs sont des espèces strictement protégées en vertu de la directive «Habitats» et pour lesquelles des mesures d’atténuation pour éviter les prises accessoires sont requises conformément au règlement relatif aux mesures techniques dans le cadre de la politique commune de la pêche [règlement (UE) 2019/1241] Malgré des preuves bien étayées indiquant que ces espèces sont capturées dans les filets de pêche, le problème persiste. La France, l’Espagne et la Suède n’ont pas pris de mesures suffisantes pour contrôler les prises accessoires dans leurs eaux et par leurs flottes, ni fait pleinement usage des possibilités offertes par la politique commune de la pêche pour se conformer à l’obligation qui leur incombe en vertu de la directive «Habitats» et pour protéger ces espèces. En outre, les trois États membres n’ont pas pris les mesures pour éviter une perturbation significative des espèces marines dans les zones spéciales de conservation désignées pour leur protection. La France et la Suède n’ont en outre pas transposé correctement les dispositions de la directive «Habitats». La France n’a pas intégralement transposé les obligations liées à la mise en place d’un système cohérent de surveillance des prises accessoires ni pris les mesures de conservation nécessaires. La Suède n’a pas transposé correctement l’obligation relative aux mesures de protection sur les sites Natura 2000 afin d’éviter toute perturbation des espèces marines. Enfin, la France et l’Espagne n’ont pas non plus assuré un contrôle et une inspection effectifs en ce qui concerne l’obligation pour les navires de pêche d’utiliser des «pingers» pour éloigner les marsouins des filets, comme le requiert la politique commune de la pêche afin de prévenir ce type de prises accessoires dans les zones les plus vulnérables. La France, l’Espagne et la Suède n’ayant pas pris les mesures nécessaires pour remédier à ces lacunes, la Commission adresse des lettres de mise en demeure aux trois pays, qui disposent d’un délai de trois mois pour remédier aux lacunes constatées. À défaut, elle pourrait décider de leur adresser un avis motivé.
Bien-être animal: la FRANCE invitée à corriger ses règles en matière de protection des animaux de laboratoire
La Commission demande à la France d’agir pour remédier aux lacunes dans sa transposition de la directive relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques (directive 2010/63/UE) dans son droit interne. La directive a été adoptée en septembre 2010 et il était convenu que les règles de l’UE soient transposées en droit interne pour le 10 novembre 2012. La directive garantit un niveau élevé de bien-être animal tout en préservant le bon fonctionnement du marché intérieur. Ces règles de l’UE visent également à limiter au maximum le nombre d’animaux utilisés à des fins expérimentales et exigent, dans la mesure du possible, le recours à des méthodes alternatives. Un certain nombre de lacunes ont été constatées dans la législation française en ce qui concerne l’exigence supplémentaire concernant l’origine des animaux utilisés à des fins scientifiques et l’absence de disposition précisant que les procédures ne peuvent être effectuées que dans le cadre d’un projet. La Commission a décidé d’adresser une lettre de mise en demeure à la France, qui dispose de trois mois pour remédier à la situation et pour répondre aux points soulevés par la Commission. À défaut, cette dernière pourrait décider de lui adresser un avis motivé.
Protection de la nature: la Commission demande à la FRANCE de mettre fin à la chasse illégale et de réexaminer ses méthodes de capture d’oiseaux
La Commission demande à la France de prendre des mesures contre certaines pratiques de chasse et de capture d’oiseaux. La directive 2009/147 (la directive «Oiseaux») vise à protéger toutes les espèces d’oiseaux naturellement présentes à l’état sauvage dans l’Union européenne. L’Europe abrite plus de 500 espèces d’oiseaux sauvages, mais au moins 32 % des espèces d’oiseaux de l’UE ne sont pas actuellement en bon état de conservation et, en France, parmi les 64 espèces pouvant être chassées, seules 20 présentent un bon état de conservation. La France a autorisé plusieurs méthodes de capture d’oiseaux, comme la colle pour les grives et les filets et pièges pour les alouettes et les pigeons, qui ne sont pas des méthodes sélectives et sont interdites par la directive. Les États membres peuvent déroger à certaines dispositions de la directive, mais seulement à certaines conditions strictes, qui ne sont pas remplies en l’espèce, notamment parce que la plupart des espèces capturées ne présentent pas un bon état de conservation. La Commission s’inquiète également de la tolérance et de l’autorisation généralisées de la chasse à l’oie cendrée (Anser anser) après que celle-ci a commencé sa migration vers ses sites de reproduction, une pratique également interdite par la directive «Oiseaux». À la suite d’une lettre de mise en demeure qui lui a été envoyée en juillet 2019, la France n’a pas pris les mesures nécessaires pour mettre ces pratiques de chasse et de capture en conformité avec le droit de l’Union. La Commission adresse donc un avis motivé à la France. Le pays dispose à présent d’un délai de trois mois pour répondre aux préoccupations de la Commission. À défaut, la Commission pourrait décider de saisir la Cour de justice de l’UE.
[1] https://ec.europa.eu/info/about-european-commission/contact/problems-and-complaints/complaints-about-breaches-eu-law/how-make-complaint-eu-level_fr