Auteure : Estelle Guerrero-Faurot, juriste
Ni le caractère traditionnel d’une méthode de capture d’oiseaux, ni le faible volume et la durée limitée de capture des espèces non ciblées, ne suffisent à justifier la méthode de la chasse à la glu.
C’est ce qu’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après la Cour) dans sa décision C-900/19 One Voice et Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) contre Ministre de la Transition écologique et solidaire du 17 mars 2021.
Cette décision fait suite à celle du Conseil d’État du 20 novembre 2019 qui, se prononçant sur des recours en excès de pouvoirs formés contre le Ministre de la Transition écologique et solidaire par les associations Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) et One Voice, a sursis à statuer et fait droit à deux requêtes subsidiaires formulées par ces dernières. L’une d’elles concernait la transmission à la Cour de justice de l’Union européenne de deux questions préjudicielles portant sur la conformité de la chasse aux gluaux autorisée par l’arrêté du 17 août 1989 dans cinq départements (Alpes de Haute Provence, Var, Vaucluse, Alpes Maritimes et Bouches du Rhône) à la directive dite « Oiseaux » (la décision du Conseil d’État susvisée a fait l’objet d’un commentaire sur notre site le 17/12/2019 par Pierre Georget, doctorant en philosophie du Droit).
Pour rappel, le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d’un litige dont elles sont saisies, d’interroger la Cour sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validation d’un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l’affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire.
I. La Cour statue tout d’abord sur la deuxième question dans laquelle la juridiction de renvoi demande « si l’article 9 paragraphe 1 sous c) de la directive « Oiseaux » doit être interprétée en ce sens que le caractère traditionnel d’une méthode de capture d’oiseaux suffit, en soi, à établir qu’une autre solution satisfaisante, au sens de cette disposition, ne peut être substituée à cette méthode ».
C’est sur le fondement de plusieurs de ses décisions précédentes que la Cour répond à cette question.
A. Elle en énonce tout d’abord les principes suivants :
Elle en déduit que cette motivation ne répond pas aux conditions de l’article 9 paragraphe 2 de la directive par la seule indication qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, sans que cette indication soit étayée par une motivation circonstanciée fondée sur les meilleures connaissances scientifiques pertinentes.
B. Rappelant ensuite qu’en 2020 (arrêt du 23 avril 2020 Commission/Finlande (Chasse printanière à l’eider à duvet mâle) C-217/19 point 65), elle avait certes estimé que la chasse aux oiseaux sauvages à des fins de loisir pouvait constituer une « exploitation judicieuse » au sens de la directive, la Cour affirme ici de manière expresse que l’objectif principal de la directive est toutefois la conservation des oiseaux et que, comme elle l’a jugé en 1987 (arrêt du 8 juillet 1987 Commission/Belgique 247/85 point 8), le maintien d’activités traditionnelles ne constitue pas à lui seul un motif de dérogation.
C. Enfin, en ce qui concerne la vérification de l’absence d’autres solutions satisfaisantes, celle-ci suppose la comparaison des différentes solutions existantes (arrêt du 23 avril 2020 Commission/Autriche (Chasse printanière à la bécasse des bois) C161/19 points 51 à 57) et le choix de la solution alternative proposant l’option la plus raisonnable et les meilleures techniques disponibles au regard du bien-être animal, prenant ainsi en considération l’article 13 TFUE.
Or l’élevage et la reproduction en captivité d’espèces protégées peuvent constituer une telle solution comme l’a déjà jugé la Cour (arrêt du 12 décembre 1996, LRBPO et AVES C-10/96 point 18).
II. La Cour statue ensuite sur la première question posée par la juridiction de renvoi, à savoir si l’article 9, paragraphe 1, sous c) de la directive « Oiseaux » doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui autorise, par dérogation à l’article 8 de cette directive, le recours à une méthode de capture d’oiseaux entraînant des prises accessoires, « même si celles-ci sont minimes et strictement temporaires ». Le Conseil d’État posait également la question des critères à retenir (proportion des prises, caractère non létal…) pour que le critère de sélectivité posé comme condition à la dérogation soit rempli.
L’article 8 paragraphe 1 de la directive énonce l’interdiction de « recours à tous moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort massive ou non sélective ou pouvant entraîner localement la disparition d’une espèce, et en particulier à ceux énumérés à l’annexe IV, point a) », au nombre desquels figure l’emploi de gluaux. L’article 8 est donc l’interdiction de principe et l’article 9 la dérogation à cette interdiction.
A. Pour répondre à cette question, la Cour va d’abord préciser comment doit être interprétée la notion de « sélectivité » et indiquer les critères d’appréciation de cette sélectivité, à savoir les modalités de la méthode de capture, l’ampleur des prises des oiseaux non ciblés et les dommages causés.
En effet, la notion n’est pas explicitée dans la directive, et celle-ci ne renvoie pas non plus aux droits nationaux. Or il s’agit d’une des conditions de la dérogation prévue à l’article 9.
La Cour distingue selon la nature de la méthode : si la méthode est létale, la condition de sélectivité s’entend dans une conception stricte ; si la méthode est non létale, le caractère sélectif peut être satisfait par une capture dont les prises accessoires sont d’ampleur limitée, ne concernant ainsi qu’un nombre très réduit de spécimens capturés accidentellement, pour une durée limitée afin que ces derniers puissent être relâchés sans dommage autre que négligeable.
B. La juridiction de renvoi argumente dans le sens que la méthode de capture en cause est non létale « en principe » et n’implique que des prises accessoires résiduelles et pour un temps limité. Elle expose également que l’article 11 de l’arrêté du 17 août 1989 prévoit un nettoyage et un relâchage immédiat des espèces non-ciblées capturées. Néanmoins, comme l’ont relevé les associations requérantes, la Commission ainsi que l’avocate générale dans l’affaire (à ses points 51 et 64), en dépit du nettoyage des espèces capturées, ces dernières subissent un dommage autre que négligeable, les gluaux endommageant de manière sérieuse le plumage des oiseaux et la simple capture pouvant entrainer leur mort pour cause de stress.
Indépendamment de la faible ampleur des captures ou de leur temps limité, la Cour va donc s’appuyer sur les seules conséquences de la capture, c’est à dire les dommages subis par les oiseaux, pour en déduire que l’article 9 de la directive ne répond pas à la condition de la sélectivité et que cette méthode de capture est susceptible de causer aux espèces ayant fait l’objet de prises accessoires des dommages « autres que négligeables ».
Ainsi, les juges européens ne suivent pas les conclusions avancées par l’avocate générale Juliane Kokott qui estimait, s’agissant de la sélectivité, « qu’une méthode de chasse peut être reconnue comme suffisamment sélective au sens de la dérogation en cause si, sur la base de connaissances scientifiques, de haute qualité et à jour, ainsi que de contrôles effectifs suffisants, il est acquis que la capture involontaire d’espèces d’oiseaux différentes et les conséquences d’une telle capture sont acceptables par rapport à l’importance culturelle du mode de capture ». La Cour n’a par ailleurs pas incorporé le caractère de tradition dans son argumentation au soutien ou à l’encontre de la question de la sélectivité de la chasse aux gluaux.
Conclusion. Dans cette décision, la CJUE revient sur son arrêt du 27 avril 1998, Commission/France 252/85, où elle avait jugé que l’emploi de gluaux pour la capture de grives, mode de chasse consacré par un usage traditionnel dans certains départements français, ne méconnaissait pas les exigences de la directive 79/409, reprises par la directive « Oiseaux ». Elle tranche donc la question de la chasse à la glu pour l’avenir et la rend incompatible avec la directive « Oiseaux ». À présent, il revient donc au Conseil d’État de trancher le litige au principal à la lumière de l’arrêt de la CJUE et lui incombe d’en tirer les conséquences en interdisant cette technique de chasse – malgré le caractère « traditionnel » que celle-ci revêt pour la France – ainsi qu’en abrogeant l’arrêté du 17 août 1989 et les arrêtés du 24 septembre 2018 adoptés en application de ce dernier et/ou en trouvant également une méthode alternative satisfaisante répondant aux exigences du droit de l’Union pour l’y substituer.