Auteure : Manon Rochette-Castel, juriste
Par une décision du 04 février 2021, et à la demande de l’association Nature Environnement 17, l’association SOS Rivières et Environnement, et l’association Ligue pour la protection des oiseaux, le juge administratif de Poitiers a annulé l’arrêté du 26 septembre 2018 par lequel le préfet de la Charente-Maritime avait délivré l’autorisation de création, de réhabilitation et d’exploitation de vingt-deux réserves de substitution sur le bassin de la Boutonne.
Les réserves de substitution permettent de stocker de l’eau grâce à un bassin géant entouré de digues et rempli durant l’hiver en pompant l’eau des nappes phréatiques. Le syndicat mixte des réserves de substitution de la Charente-Maritime (SYRES 17) avait obtenu une autorisation de création et de réhabilitation de vingt-deux réserves en 2018.
Conformément à l’article R. 122-5 du Code de l’environnement, ce projet de création a dû faire l’objet d’une étude d’impact, proportionnée « à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d’être affectée par le projet, à l’importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l’environnement ou la santé humaine ». Une telle étude d’impact vise ainsi à éviter les effets négatifs du projet sur l’environnement ou la santé humaine. Le 1er février 2019, les associations de protection animale et de l’environnement sus-citées demandent au tribunal d’annuler cette autorisation de projet jugeant l’étude d’impact insuffisante.
Le tribunal va faire droit à leur requête. Le juge considère d’abord, que l’étude d’impact menée par le SYRES 17 concernant la réserve R19 manque d’approfondissements.
En effet, un rapport de la Ligue de la protection des oiseaux d’octobre 2018 montre que la réserve R19 se situe dans une zone où se rencontrent des sites de chants des mâles pour la reproduction des outardes canepetières, ainsi que des sites de rassemblements postnuptiaux. Il précise : « l’outarde canepetière est une espèce protégée et fragile faisant l’objet d’une protection d’intérêt communautaire ».
Le juge mentionne également une erreur manifeste du préfet qui entache l’arrêté d’autorisation du projet : l’étude d’impact montre que les espèces salmonicoles voient leur pérennité compromise par l’altération des débits d’étiage (débits les plus bas dus aux pompages) et de la qualité des eaux. Le préfet aurait donc dû fixer des seuils de coupure pour certaines réserves.
Enfin, sur le fondement des articles L. 411-1[1] et L. 411-2 du Code de l’environnement, le juge conclut que l’étude d’impact étant insuffisante, elle ne permet pas d’établir avec certitude que le projet ne conduira à la destruction de l’habitat d’aucune espèce.
Le Droit français et notamment le Droit de l’environnement ne considèrent pas l’animal sauvage qui vit à l’état de liberté, individuellement, et ne lui reconnaissent pas la qualité d’être sensible. Il est appréhendé collectivement, vu comme chose fongible (interchangeable car en nombre indéfini) au travers de son appartenance à une espèce, l’organisation de la gestion des effectifs des différentes espèces étant prévue par le Code de l’environnement.. Dans le cadre de cette organisation, le Code de l’environnement permet de protéger les espaces naturels qui abritent certaines espèces protégées. C’est donc sur le fondement des dispositions dudit Code relatives à la protection de l’habitat de ces espèces que le juge s’est prononcé : en protégeant l’espace, il a protégé l’espèce.
[1]« I. – Lorsqu’un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : (…) 3° La destruction, l’altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d’espèces »