Auteure : Anne Descamps, avocate
L’arrêt de la 6ème chambre de la Cour d’appel de Douai du 15 novembre 2021 marque peut-être les prémices de la reconnaissance d’un droit de protection de l’animal sauvage en dépit des lacunes de notre code pénal conformément à l’évolution de l’opinion sur la nécessité de protéger l’environnement et la diversité biologique.
En effet, il s’agissait ici de se prononcer sur des faits de tentative de destruction d’un phoque veau-marin, espèce animale non domestique protégée commis par un auteur identifié, ladite tentative manifestée par un commencement d’exécution à savoir le fait d’avoir porté plusieurs violents coups de pied au niveau de la tête de l’animal en indiquant son intention d’en finir avec celui-ci qui est pourtant une espèce protégée selon l’arrêté du 1er juillet 2011 fixant la liste des mammifères marins protégés sur le territoire national.
De telles poursuites restent extrêmement rares compte tenu de la complexité de prendre sur le fait les auteurs de tels actes. Ces derniers pensaient très certainement pouvoir agir en toute impunité compte tenu des sanctions pénales légères prononcées jusqu’alors, l’intérêt économique et financier de la pêche prenant toujours le dessus sur les intérêts de l’environnement et de la biodiversité.
I – Les phoques veau-marin, une espèce protégé mais dans quelle mesure ?
Les phoques veau-marin sont des animaux sauvages protégés (A) mais la législation pénale française présente un vide législatif (B)
A – Les phoques veau-marin : une espèce protégée
L’espèce en cause dans cet arrêt de la 6ème chambre à savoir le phoque commun ou veau marin est un mammifère carnivore et principalement piscivore. Il mange donc chaque jour environ 2 kg de poisson tel que le hareng, le bar…
En France, le phoque commun et le phoque gris sont les deux espèces de phocidés qu’il est encore possible d’observer régulièrement sur certaines plages du Nord de la France et plus particulièrement en Baie de Somme. Le nombre d’individus était estimé en 2018 dans les eaux françaises entre 400 à 550.
Par ailleurs, se retrouvant régulièrement sur la côte, les phoques sont soumis aux menaces anthropiques de l’homme avec qui ils sont obligés de partager leurs aires de repos. Ils sont en outre exposés aux polluants industriels et agricoles mais également aux pièces que sont les filets de pêche actifs ou abandonnés.
Mais face à ce constat écologique, se trouve la réalité économique à savoir la mise en place de quotas de pêche considérés comme trop bas par ces professionnels. Ces derniers s’estiment soumis à une concurrence déloyale de la part de la population de phoques…
Seuls les effets négatifs de cette cohabitation ont été mis en avant par certains représentants de pêcheurs . . Cela a conduit à la mise à mort de certains phoques soit en catimini soit bien moins discrètement ces dernières années et plus particulièrement depuis 2018.
B – La protection pénale de l’animal sauvage
En effet, l’animal sauvage est protégé en droit français uniquement en tant qu’élément de l’environnement. Seul le Code de l’environnement nous permet donc de poursuivre des actes de cruauté commis sur un animal sauvage mais pas en tant qu’atteinte sur un être sensible mais en tant que partie d’un élément essentiel de l’environnement. Notre code pénal quant à lui semble ignorer parfaitement l’existence des animaux sauvages en liberté puisque son article 521-1 ne vise que les actes de cruauté commis envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité.
Cette absence de disposition ou de reconnaissance dans le code pénal pose de nombreuses difficultés et confère une immunité aux auteurs d’actes de cruauté commis sur les animaux sauvages s’ils ne sont pas de surcroît protégés…
Ainsi le Tribunal Correctionnel de Dunkerque puis la Cour d’appel de Douai dans son arrêt en date du 15 novembre dernier n’ont pu entrer en voie de condamnation que dans la mesure où il s’agissait d’un phoque marin protégé par l’ arrêté en date du 1er juillet 2011.
Cette protection permet alors de sanctionner les comportements violents au visa des dispositions de l’article L 415-1 du Code de l’environnement qui dispose que lorsqu’un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits la destruction, ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou qu’ils soient, vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur vente ou leur achat pour vente.
Ainsi donc, une nouvelle distinction est opérée et une protection accordée différente en fonction de la catégorie dans laquelle se trouve l’animal victime d’un acte de cruauté ou de mise à mort à savoir ceux appartenant à une espèce protégée, les animaux chassables ou pêchables et les animaux susceptibles de provoquer des dommages.
L’animal sauvage n’est alors pas protégé en tant qu’être vivant ou sensible mais bien uniquement en tant qu’élément de l’environnement. Par ailleurs, il faut noter que les dispositions de l’article L 415-2 du Code de l’environnement prévoient une multitude de dérogations possibles à cette semi protection. Ainsi, l’intérêt général social ou économique peut alors justifier des atteintes aux espèces protégées mais uniquement sur dérogation réglementaire expresse.
Ces textes définissent des mesures de protection et ou des mesures de régulation des populations mais non une protection de l’animal en tant que tel.
II – L’arrêt du 15 novembre 2021 de la Cour d’appel de Douai : vers une reconnaissance d’un droit de protection de l’animal sauvage ?
Malheureusement compte tenu du vide législatif en matière pénale, les poursuites sont rares et les peines prononcées à l’encontre des auteurs de faits poursuivables sont peu dissuasives (A). La Cour d’appel de Douai vient de rendre un peu d’espoir aux défenseurs de la faune sauvage en sanctionnant réellement les auteurs de cruauté envers les animaux sauvages
A – Des poursuites pénales rares en raison du vide législatif français
Jusqu’alors, l’intérêt collectif et économique primaient sur la volonté de protéger la faune sauvage. Les poursuites pénales étaient également rares compte tenu de la difficulté de rapporter la preuve de la commission de l’infraction par le présumé auteur des faits et en tout état de cause les sanctions pénales prononcées étaient peu dissuasives.
La faune marine n’est d’ailleurs pas la seule à pâtir de ce vide législatif. Ainsi par exemple, en 2010, le chasseur qui avait tué en 2004 l’ourse Cannelle relaxé en première instance par le tribunal correctionnel de Pau en avril 2008 pour destruction d’espèce protégée avait été condamné par la Cour d’appel de Pau à verser une somme de 10 000 euros.
Pour en revenir plus particulièrement aux phoques, plusieurs ont été massacrés et/ou décapités dans le Nord de la France depuis début 2018. Les associations de défense des animaux se sont donc mobilisées pour retrouver leurs auteurs, dont certains ont été condamnés en octobre 2020.
En effet, le mercredi 10 janvier 2018 à Oye-Plage, un phoque veau marin a été découvert mort, criblé de plombs. De même le 29 avril suivant, deux autres cadavres de phoques sont signalés aux abords du Touquet. Le premier était mort, couché sur son flanc et complètement tuméfié et à 10 mètres de lui gisait un autre phoque veau mort lui aussi. Il s’avérait que le premier avait reçu des plombs de chasse au niveau du thorax mais surtout des coups forts violents au niveau du cou. Quant au second, il était mort d’asphyxie certainement pris dans un filet de pêche non sans avoir également reçu des coups.
Faute de témoins directs de la scène, l’enquête est actuellement toujours en cours.
En février 2019, deux jeunes phoques gris ont également été retrouvés décapités à Concarneau et à Trégunc (Finistère). Pour la gendarmerie, il ne s’agissait pas d’un accident de pêche mais bien d’une mise à mort. Le 9 mai 2019, la Gendarmerie de Concarneau a annoncé qu’ils avaient « identifié des personnes contre lesquelles il existe un faisceau de présomptions les mettant en cause dans les faits de « capture non déclarée, transport et destruction non autorisée d’espèce animale non domestique protégée » ».
Le marin pêcheur a été jugé en 12 octobre 2020 pour « destruction, détention, transport, utilisation et naturalisation d’une espèce protégée » concernant les deux phoques. Le Parquet de Quimper avait requis 5 000 euros d’amende pour le marin pêcheur et 5 000 euros pour le capitaine du navire.
Une peine d’amende de 1500 euros chacun a été prononcée le 26 novembre 2020 par le Tribunal correctionnel de Quimper, somme en deçà des réquisitions.
Des peines si légères n’avaient aucun effet dissuasif. Si des poursuites étaient certes engagées à l’encontre des auteurs de tels actes de cruauté, on pouvait s’interroger sur la question de savoir si les sanctions n’étaient pas purement symboliques.
B – Les prémices de la reconnaissance d’un droit à la protection pénale à travers l’arrêt de la 6ème Chambre de la Cour d’appel de Douai du 15 novembre 2021
Le jugement du Tribunal Correctionnel de Dunkerque du 20 octobre 2020 dont a eu à connaître la Cour d’appel de Douai suite à un appel du prévenu est conforme à la jurisprudence habituelle en la matière et est même un peu plus sévère en ce que l’agresseur d’un bébé phoque sur la plage de Dunkerque avait été condamné à 140 heures de travail d’intérêt général et non uniquement à une peine financière.
En l’espèce, le 15 septembre 2019, il avait été constaté la présence d’un phoque commun sur la plage de Malo les Bains. Il convient de rappeler que cette espèce est visée par l’arrêté du 1er juillet 2011 fixant la liste des mammifères marins protégés sur le territoire national. Des photographies prises par un témoin montraient la gueule de l’animal ensanglantée et un certificat vétérinaire en date du 16 septembre 2019 attestait que ce dernier présentait de multiples contusions. Le témoignage de plusieurs personnes permettaient d’identifier l’auteur des faits, ce qui a conduit à l’interpellation de celui-ci. L’auteur présumé aurait frappé à quatre reprises le phoque, auparavant piégé par la marée haute et déjà affaibli par une maladie, parce que ce dernier abîmait son filet de pêche et « bouffait [ses] poissons », selon plusieurs témoins sur place. L’animal n’a pas pu être sauvé.
Visant les dispositions de l’article L 415-3 du Code de l’environnement qui dispose qu’est puni de trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende le fait… « de porter atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques à l’exception des perturbations intentionnelles », l’Avocat Général près la Cour d’appel de Douai avait requis une peine de 6 mois de prison ferme et 5000 euros d’amende.
Le Conseil de la Fondation 30 Millions d’Amis estimait quant à lui que ce type de dossier était extrêmement rare dans la mesure où, il y avait très peu d’affaires concernant les phoques car i jamais de témoins. Il précisait que les cruautés envers ces animaux sont généralement faites en catimini ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Madame Dabrowski du Collectif animal Life réclamait quant à elle un jugement exemplaire.
Elle a été entendue par la Cour d’appel de Douai le 15 novembre 2021 qui est la première à prononcer une peine de six mois d’emprisonnement assortie d’un sursis à l’encontre d’un auteur d’acte de cruauté envers un animal sauvage protégé.