Auteures : Ivana Djordjevic & Angélique Debrulle, juristes
Les 16 et 18 novembre derniers, l’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté le texte de la proposition de loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes issu de la conciliation menée au sein d’une commission mixte paritaire.[1]
Pour rappel, la proposition[2] avait été initiée par Mme Laëtitia Romeiro Dias, députée LREM, puis adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture le 29 janvier 2021. Elle avait par la suite été inscrite à l’ordre du jour du Sénat et débattue les 30 septembre et 1er octobre derniers.
Le texte proposé par les députés envisageait de nombreuses mesures ambitieuses et radicales pour lutter contre la maltraitance animale.
Sans grande surprise, les sénateurs n’ont pas suivi le même mouvement et ont fait le choix d’un encadrement au cas par cas avec de possibles interdictions.
C’est donc la commission mixte paritaire (CMP), convoquée le 4 octobre dernier, qui s’est chargée de trouver un compromis entre les chambres. Les rapporteurs de la commission nommés étaient Mme Anne Chain-Larché, M. Loïc Dombreval, M. Dimitri Houbron et Mme Laëtitia Romeiro Dias.
Ainsi, les députés et les sénateurs sont parvenusà un certain consensus qui a mené à l’adoption du texte dont nous examinerons brièvement les mesures fortes.
Equidés et animaux de compagnie
(1) Tout d’abord, concernant la détention d’équidés et d’animaux de compagnie, le Parlement a décidé de la mise en place d’un certificat d’engagement et de connaissance. Il est ainsi prévu que tout détenteur d’équidé devra, lorsqu’il ne s’agit pas d’une détention professionnelle, attester de ses connaissances sur les besoins spécifiques de l’animal par la signature d’un certificat d’engagement et de connaissance. Il en va de même pour toute personne physique qui acquiert, à titre onéreux ou gratuit, un animal de compagnie. Le cédant devra s’assurer de la signature de ce certificat par le nouvel acquéreur. Un délai de réflexion de 7 jours est imposé entre la délivrance de ce nouveau certificat et l’achat ou le don de l’animal (article premier) afin d’éviter les acquisitions impulsives.
On pointera, au passage, l’abandon de l’obligation, que la proposition entendait imposer à tout détenteur de carnivore domestique, de fournir un justificatif de domicile auprès de l’I-CAD (identification des carnivores domestiques), car cela aurait entraîné un alourdissement de la charge administrative, pour un bénéfice limité ; de plus il aurait été aisé de fournir des documents contrefaits et cette obligation aurait été difficile à remplir pour les personnes n’ayant pas de domicile fixe (article 1er bis).[3]
(2) Ensuite, des obligations d’affichage afin de sensibiliser la population sont imposées. Elles visent, d’une part, à imposer aux établissements de soins vétérinaires une signalisation relative à l’obligation d’identification des équidés (art. 2bis B) et, d’autre part, à imposer aux mairies ainsi qu’aux établissements vétérinaires d’apposer de manière apparente une signalisation présentant l’intérêt de la stérilisation des animaux domestiques en termes de santé, bien-être animal et protection de la biodiversité (art. 4bis A).
(3) De nouveaux aménagements ont également été prévus au niveau des fourrières afin d’éviter les euthanasies de convenance. Il s’agit d’imposer aux fourrières, à la fin du délai de garde légal, de proposer les animaux à un refuge ou une association sans refuge.[4] Une obligation de suivre, pour chaque gestionnaire de fourrière, une formation relative au bien-être des chats et des chiens est également prévue (art. 3). Il est en outre particulièrement salutaire d’avoir conféré un statut juridique aux associations sans refuge[5] et aux familles d’accueil[6] ce qui présente l’avantage d’étendre la liste des intervenants officiels pour la prise en charge d’animaux (article 3bis).
(4) La thématique des chats errants a également fait l’objet de développements en prévoyant une obligation à la charge du Gouvernement d’élaborer un rapport (art. 3quater), dressant notamment un diagnostic chiffré sur ladite thématique incluant le coût de la capture et de la stérilisation des chats errants. On peut regretter l’abandon de la proposition initiale visant à imposer aux maires de faire procéder aux captures et à la stérilisation de ces animaux, le Gouvernement n’ayant pas prévu le financement de cette mesure. Le Parlement n’a pas non plus songé à imposer, comme c’est le cas par exemple en Belgique, une obligation générale de stérilisation des chats domestiques alors que cette mesure aurait eu un impact significatif sur l’évolution de la population féline.
(5) Deux autres mesures phares concernent la vente d’animaux et constituent de réelles avancées tendant à lutter contre les achats impulsifs.
Il s’agit tout d’abord de l’interdiction de la cession, à titre onéreux ou gratuit, de chiens et de chats en animalerie qui entrera en vigueur le 1er janvier 2024. La présentation de chiens et de chats issus de refuges sera néanmoins autorisée afin de favoriser l’adoption qui, en toute hypothèse, ne pourra être immédiate puisqu’elle devra se faire au sein de l’association, sans bénéfice pour l’animalerie.[7] Une interdiction de vente en vitrine est également intégrée au régime (art. 4sexies A).
Il s’agit ensuite de l’interdiction de la vente en ligne d’animaux de compagnie. Un régime dérogatoire est néanmoins prévu lorsque plusieurs conditions sont réunies, notamment, que l’annonce réponde aux obligations prévues à l’article L. 214-8-2 du Code rural et de la pêche maritime, qu’elle soit faite par des professionnels (éleveurs et animalerie) et qu’elle comporte des messages spécifiques de sensibilisation et d’information du détenteur relatifs à l’acte d’acquisition de l’animal. L’utilisation de techniques promotionnelles pour vendre des animaux en ligne et l’expédition d’animaux vertébrés vivants par voie postale (article 4 sexies) sont également interdites.
(6) Dans le même souci de réduire les achats impulsifs, le texte prévoit l’interdiction de vente d’animaux à tout mineur, sans le consentement des parents (article 5 ter).
Par ailleurs, afin de lutter contre le trafic et les importations frauduleuses, on relève une mesure intéressante : l’importation des chiens sur le territoire national est conditionnée à la présence d’au moins une dent adulte (art. 4sexies B). Ceci permettra de contourner la falsification des passeports européens, falsification opérée pour permettre d’importer des chiots n’ayant pas l’âge légal et n’étant dès lors pas en règle quant à l’obligation de vaccination antirabique.
(7) Une autre mesure intéressante est portée par l’article 7ter et vise à sensibiliser les citoyens à différents stades de leur vie à l’éthique animale et au respect des animaux de compagnie. Ainsi, les volontaires du service national universel seront amenés à « étudier le rapport de l’Homme avec l’animal sous le prisme philosophique et scientifique » tandis que le respect des animaux de compagnie devra être abordé à l’école primaire, au collège et au lycée dans le cadre de l’enseignement moral et civique. Partant du constat que la majorité des actes de négligence/maltraitance animale provient d’une méconnaissance des besoins des animaux, cette mesure présente un intérêt tout particulier.
(8) Enfin, l’interdiction des « manèges à poneys » (article 7bis) et la mise en place d’une procédure de vente forcée pour les chevaux abandonnés chez un professionnel (article 7) viennent également enrichir le texte.
Animaux sauvages captifs
(9) Le texte interdit (à l’expiration d’un délai de sept ans à compter de la promulgation de la loi, soit 2028) la détention, le transport et le spectacle d’animaux sauvages dans les cirques itinérants ainsi que (à l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi, soit 2023) l’acquisition, la commercialisation et la reproduction de ces animaux (article 12). Une commission nationale consultative pour la faune sauvage captive est créée auprès du ministre chargé de la protection de la nature et « peut être consultée par le ministre sur les moyens propres à améliorer les conditions d’entretien ainsi que de présentation au public des animaux d’espèces non domestiques tenus en captivité ». Les établissements de spectacles fixes (ex : cirques fixes) sont soumis aux règles générales de fonctionnement des zoos.
Toutefois le Sénat a entendu maintenir les « voleries », soit les spectacles de fauconnerie, qu’il ne considère pas comme des spectacles itinérants. Il s’agirait « davantage de transport ou de mobilité que d’itinérance ».[8]
Les spectacles de dauphins ou d’orques ainsi que leur détention ou reproduction en captivité (sauf en refuges, sanctuaires etc. ou dans le cadre de programmes scientifiques) sont interdits à partir de 2026, soit « à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la promulgation de la loi » (article 12).
(10) Enfin, il est mis fin à l’élevage de visons d’Amérique et d’autres espèces sauvages pour leur fourrure (article 15). À ce jour, un seul élevage de vison est encore en activité et l’on peut saluer l’interdiction immédiate, en lieu et place d’un régime transitoire de 2 ans initialement envisagé par la proposition de loi.
Sanctions pénales
(11) Concernant les sanctions pénales en cas de maltraitance ou de non-respect des dispositions issues de la nouvelle loi, un durcissement des peines a pu être maintenu à l’issue des débats de la Commission mixte paritaire. Ainsi, par exemple, en cas de non-respect de l’interdiction des manèges à poneys, la même sanction que pour les mauvais traitements sur les animaux domestiques sera appliquée (article 7). On relève également que les peines encourues à la suite de l’atteinte sexuelle sur un animal peuvent être portées à quatre ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende dès lors que les faits sont commis en réunion (article 8). De la même façon, le Parlement a décidé d’élargir le champ des personnes autorisées à notifier des sévices ou atteintes graves aux animaux, qui pourront donner lieu à enquête et évaluation de la situation du mineur concerné (article 11).
En conclusion, si la loi est lacunaire sur de nombreux sujets (chasse, corrida, conditions d’élevage, abattage sans étourdissement, transport, etc.) et ne permet pas à la France de s’aligner sur ses voisins européens, elle comporte néanmoins une série de mesures qui auront un impact non-négligeable sur le bien-être des animaux. Cette loi n’attend désormais plus que sa promulgation pour entrer en vigueur et voir son application contribuer à l’amélioration de la condition animale.
[1] Le rapport de cette commission peut être consulté via ce lien : http://www.senat.fr/rap/l21-086/l21-086.html
[2] L’intitulé a été modifié à la demande du Sénat.
[3] Page 8 du rapport.
[4] Page 9 du rapport.
[5] Définie comme étant « des association de protection des animaux n’exerçant pas d’activité de gestion de refuge au sens de l’article L. 214-6-1 et ayant recours au placement d’animaux de compagnie auprès de familles d’accueil mentionnées à l’article L.214-6 ».
[6] Définie de la manière suivante : « une personne physique accueillant sans transfert de propriété à son domicile un animal de compagnie domestique confié par un refuge ou une association sans refuge […] ».
[7] Page 14 du rapport.
[8] Page 25 du rapport.